Faut-il brûler le dépistage du cancer ? Faut-il à tout le moins remettre en cause le dépistage à grande échelle sur des populations de moins en moins ciblées ?
Naguère provocatrice, cette question se pose désormais de plus en plus ouvertement, tant il apparaît que les programmes prétendument préventifs ont de redoutables effets pervers. Le principal d’entre eux est le « surdiagnostic », autrement dit l’amplification artificielle des cas qui entraîne des mutilations inutiles pour un grand nombre de patients. Soit parce que le diagnostic est erroné, soit parce que le cancer aurait probablement régressé spontanément. Selon des études récentes, un traitement précoce pourrait même accélérer le développement de métastases dans les organes vitaux ! Contrairement à ce que soutient la propagande médicale, le diagnostic rapide et la prise en charge hâtive n’améliorent d’ailleurs nullement le taux de survie général, ce qui est pourtant l’objectif de ces campagnes jouant sur la peur de la maladie. L’un consacré à la mammographie (*) et l’autre au dépistage du cancer de la prostate (**), deux ouvrages viennent encore d’être publiés qui dénoncent les mensonges du discours officiel. Pour nous éclairer dans ce qui devient une polémique, Pryska Ducoeurjoly a récolté quelques données scientifiques très instructives.
La majorité des médecins a bien du mal à considérer qu’un patient puisse se « guérir » tout seul, la médecine se présentant comme la seule voie possible pour sauver un cancéreux. A condition qu’il soit vraiment cancéreux… « pseudo cancer », « pseudo maladie » : comment appeler ces lésions dites cancéreuses mais qui n’évolueront pas dans le temps, ou si lentement que la personne décédera finalement d’une autre cause ? Il faudra bien un jour que la médecine officielle revienne à la raison et reconnaisse que certains cancers peuvent régresser spontanément ! Cette réalité prouvée par la recherche médicale reste encore une incongruité pour l’establishment médical, une attaque contre ses fondements. La plupart des cancers est en réalité susceptible de faire l’objet d’un surdiagnostic et d’une surmédicalisation : sein, prostate, thyroïde, poumon, rein, mélanome, neuroblastome… En mars 2010, dans un article de synthèse (« Overdiagnosis in cancer ») paru dans le Journal of the National Cancer Institute (USA), les auteurs H. Gilbert Welch et William C. Black donnent l’estimation du surdiagnostic en comparant un groupe invité au dépistage à un groupe non invité. Le surplus est de 25 % pour les cancers du sein détectés par mammographie, 50 % pour les cancers du poumon (dépistage par rayons-X notamment) et 60 % pour les cancers de la prostate dépistés par le marqueur PSA.
Un million de faux cancers
Il convient néanmoins de s’intéresser tout particulièrement aux cancers du sein et de la prostate, les deux cancers les plus fréquents et médiatisés, où les risques du surdiagnostic sont avérés et emblématiques, car très étudiés du fait de l’ampleur du « combat » collectif via le dépistage. A la différence de la Belgique, la pratique du dépistage en France s’est aussi largement étendue à la prostate, si bien que plus de cent hommes et cent femmes seraient chaque jour diagnostiqués puis traités inutilement. Ainsi, en quinze ans, la France aurait «soigné» un million de personnes pour un cancer de la prostate ou du sein qui n’en était pas un. Ces chiffres édifiants, très contestés par les partisans du dépistage, ont été communiqués par Bernard Junod, médecin et ancien professeur à l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique de Rennes, lors du séminaire « Quelles ruptures pour imaginer la médecine du futur » (mai 2011, à l’Université Paris 8). La figure 1 ci-après, basée sur les chiffres officiels d’incidence et de mortalité en France (CEPIDC et INVS), sert des interprétations divergentes.
L’augmentation conjointe des diagnostics et des décès par cancer du poumon de 1980 à 2005 reflète un facteur de l’environnement : le tabac. Pour Bernard Junod, la montée en flèche du nombre de cas de cancer du sein et de la prostate où la mortalité reste stable pendant cette période de 25 ans est reliée à l’augmentation du dépistage. La différence croissante entre diagnostics et décès s’explique par l’augmentation de cancers qui n’auraient jamais fait parler d’eux s’ils n’avaient été décelés lors d’un dépistage par mammographie ou par un PSA. Le nombre d’appareils de mammographie a augmenté considérablement en France : 308 en 1980 contre 2 511 en 2000, soit huit fois plus. Pour les pro-dépistage, la croissance du nombre de cas est attribuée à des problèmes environnementaux, qui ont «heureusement» été contrés grâce aux progrès des traitements. Selon Bernard Junod, cette explication ne tient pas. Plusieurs études (1) réalisées à partir d’autopsies de femmes décédées d’une autre cause que le cancer, montrent que les femmes portent en leur sein des cancers silencieux dans une proportion largement supérieure à celle qui se manifeste dans la population, comme le montre la figure ci dessous.
Ce tableau compare le nombre de cancers repérés d’une part lors d’une recherche systématique à l’autopsie (grâce à l’histologie : étude des tissus biologiques) chez des femmes décédées sans lien avec une pathologie mammaire (par exemple accidentellement), et d’autre part, le nombre de cancers repérés dans les conditions de suivi des femmes françaises âgées de 60 ans en 1980. On obtient des nombres de tumeurs très différents : 24 pour 1000 femmes lors de la recherche systématique par des prélèvements dans les seins lors de l’autopsie et au plus 8 cancers évolutifs pour 1000 femmes diagnostiqués en population. Les 4 cancers présents en 1980 et ayant entraîné le décès sont certainement évolutifs. Les 4 cas suivis de guérison comprennent soit des cancers évolutifs dont le traitement a été efficace, soit des surdiagnostics. Si la sensibilité et la spécificité des critères histologiques pour établir la présence ou non d’un cancer évolutif étaient parfaites, les nombres obtenus par la recherche systématique et par l’observation chez les femmes de 60 ans en 1980 auraient été égaux. La différence entre nombres obtenus montre qu’il existe de nombreux cancers non évolutifs repérables par une recherche systématique ponctuelle et considérés à tort comme des cancers. (Source : Junod B., Massé R., « Dépistage du cancer du sein et médicalisation de la santé publique ». Santé Publique 2003, 15 :125-129)
Une illusion d’efficacité
Pour nombre de médecins et chercheurs de renom, le surdiagnostic est une triste réalité qui crée l’illusion de l’efficacité des traitements. Les campagnes de dépistage du cancer du sein avancent le chiffre de 20 à 30% de baisse de mortalité. La perception par les soignants du nombre de vies sauvées est biaisée en faveur de la mammographie du fait qu’ils ne tiennent compte que des groupes de femmes ayant été diagnostiquées pour calculer le nombre de vies sauvées, et non de la population générale (y compris celles qui n’ont pas de cancer). Ainsi, leurs résultats sont faussés par les cancers qui n’auraient jamais fait parler d’eux.
« A ce jour, nous n’avons toujours pas vu la preuve de la guérison du cancer du sein par la médecine, explique Bernard Junod. Excepté dans certains cancers, notre interventionnisme est délétère.» Le surdiagnostic est difficile à reconnaître pour le corps médical car il remet en question plusieurs dogmes centraux en oncologie :
-Plus on traite tôt, plus on a des chances de guérir. Or ce n’est pas prouvé.
-Plus on en fait, mieux c’est. Or c’est plutôt l’inverse qui devrait prévaloir.
-Le cancer maladie se définit dogmatiquement par la présence de cellules cancéreuses dans un prélèvement observé au microscope. Cette théorie n’est pas confirmée dans la réalité. En fait, on appelle « cancer » des choses dont on ne sait pas comment elles vont évoluer ».
Le surdiagnostic participe donc à amplifier artificiellement l’incidence des cancers du sein comme celui de la prostate. Aujourd’hui, on parle d’épidémie, créant une véritable angoisse collective. Or, si le nombre de cas détectés n’a cessé d’augmenter, la mortalité, elle, est restée plutôt stable. Pour les chercheurs opposés au «tout dépistage», les vrais cancers sont ceux qui ont causé la mort et non pas ceux, toujours plus nombreux, que l’on dépiste. Car plus on en cherche, plus on trouve de pseudo-cancers.
Scandale éthique
Ce point de vue est partagé par la collaboration Cochrane, organisation scientifique internationale. L’antenne danoise a publié une brochure (2) en treize langues à l’attention des femmes pour donner le contrepoids à une information « insuffisante et unilatérale ». « Si 2 000 femmes sont examinées régulièrement pendant dix ans, une seule d’entre elles bénéficiera réellement du dépistage par le fait qu’elle évitera ainsi la mort par cancer du sein. Dans le même temps, dix femmes en bonne santé deviendront, à cause de ce dépistage, des patientes cancéreuses et seront traitées inutilement. Ces femmes perdront une partie ou la totalité de leur sein et elles recevront souvent une radiothérapie et parfois une chimiothérapie. En outre, environ 200 femmes en bonne santé seront victimes d’une fausse alerte ».
Peter Gøtzsche, le directeur de l’institut Cochrane nordique qui a rédigé cette brochure, vient de publier un ouvrage de 400 pages chez Radcliffe (« Mammography Screening », Dépistage par mammographie: vérité, mensonges et controverse). « La raison de ce livre, et de tant de recherches consacrées au dépistage du cancer du sein par mammographie, c’est la violation des droits humains faite aux femmes. En matière de santé, c’est sans doute le plus grand scandale éthique qui soit », a-t-il déclaré dernièrement au journal The Guardian.
De nos jours, la médecine officielle s’en remet à la biopsie (prélèvement de tissus) et à l’histologie (l’analyse de ces tissus) pour définir la présence, ou non, d’un cancer. Or, la réalité apparaît beaucoup plus complexe pour les chercheurs et les médecins qui ont compris que la définition du cancer est loin de se cantonner à une photographie prise à un instant T. Au contraire, ils cherchent à inclure une vision évolutive, dynamique du « problème ». Ils tentent de promouvoir un suivi par l’observation plutôt qu’une prise en main précoce et agressive : chirurgie, radiothérapie, chimio. Pour eux, la meilleure défense n’est pas l’attaque. Bien au contraire, mieux vaut parfois camper sur ses positions et non envoyer l’artillerie lourde sur un cancer précoce car cela peut intoxiquer le patient, voire conduire à une accélération des métastases (voir plus loin) !
Dépistage en folie
Le dépistage est donc une arme à double tranchant.
Voici une présentation des principaux cancers sujets au surdiagnostic et un aperçu de ses conséquences :
Cancer de la prostate. En 2000, le Comité Consultatif pour la prévention du cancer dans l’Union Européenne déclarait que «le dépistage du cancer de la prostate n’est pas recommandé en tant qu’action de santé». Pourtant, le dépistage de ce cancer reste fréquent, pour ne pas dire systématique en France : Charlette Yeu, jeune médecin, a soutenu une thèse sur le dépistage du cancer de la prostate, effectuant ainsi le résumé des connaissances sur le sujet. « De nombreux auteurs (Franks en 1954, Kabalin en 1989, Montie, Scardino en 1989, Welch et Black en 1997, Montironi en 2005) soulèvent le problème de surdiagnostic. La prévalence retrouvée dans différentes études se situe autour de 30 à 40 % versus les 16,7 % officiellement déclarés ». L’ampleur du surdiagnostic dans le cancer de la prostate est supérieure à celle du cancer du sein. « Une étude menée entre 2000 et 2002 par Wei et coll. Sur plus de 71 000 patients atteints d’ un cancer prostatique aux USA retrouve 55% de surtraitement (chez des patients présentant un faible risque de mortalité puisqu’ils auraient pu se voir proposer une abstention thérapeutique – surveillance) ». Les effets secondaires des traitements sont lourds et mutilants : incontinence et autres troubles urinaires, troubles de l’érection et absence d’éjaculation, troubles digestifs. Alors que beaucoup d’hommes pourraient continuer à vivre tranquillement.
Cancer du poumon. « La fin des années 70 et le début des années 80 ont vu un regain d’intérêt pour le dépistage par radiographie pulmonaire du cancer du poumon», rappelle H Gilbert Welch dans son livre « Dois-je me faire tester pour le cancer ? ». L’étude américaine majeure sur ce dépistage a été réalisée à la clinique Mayo (Etats-Unis, ndlr) : un essai randomisé auquel participaient 9 000 hommes qui fumaient. La moitié a passé une radiographie pulmonaire tous les quatre mois, l’autre moitié n’a pas eu d’examen, sauf si des symptômes de cancer apparaissaient. Sans surprise, un plus grand nombre de cancers fut trouvé dans le premier groupe, 206 cas en six ans contre 160 dans le groupe contrôle. (…) Puisque le nombre de personnes décédées du cancer du poumon était identique dans les deux groupes, les chercheurs ont conclu que le dépistage n’avait pas sauvé de vie. Le groupe testé par radiographie comptait pourtant 29% de plus de cancers diagnostiqués. Une autre étude sur le dépistage du cancer pulmonaire parue dans Academic Radiology (« Low-Dose Computed Tomography Screening for Lung Cancer in a General Population ») montre que les non-fumeurs présentent autant de tumeurs que les fumeurs. Un examen radiologique des poumons a été réalisé par scanner spiralé sur près de 8000 Japonais. Les tumeurs repérées ont fait l’objet d’investigations complémentaires. Parmi les 7847 volontaires examinés, 84 tumeurs répondaient aux critères de définition histologique du cancer alors qu’on attendait seulement 11 cancers évolutifs selon ce qu’on connait par des observations antérieures dans des populations analogues. On constate que ces tumeurs sont presque aussi fréquentes chez les fumeurs que chez les non-fumeurs : 10,8 pour mille, soit 39 diagnostics de cancer chez les 3.596 fumeurs et 10,6 pour mille, soit 45 diagnostics de cancer chez les 4251 non-fumeurs. On sait pourtant que le cancer du poumon est 10 à 20 fois plus fréquent chez les fumeurs que chez les non-fumeurs. « Ici, on ne retrouve pas ce résultat parce que des surdiagnostics masquent le lien entre tabac et cancer évolutif», commente Bernard Junod.
Cancer de la thyroïde. Les carcinomes in situ de la thyroïde présentent des caractéristiques semblables, retrouvés chez la majorité des individus de 50 à 70 ans pour une fréquence des cancers à cet âge de 0,1 %. Si on systématisait un dépistage de pointe à toute la population, cela donnerait 99,9% de surdiagnostics
Cancer du rein. Un dépistage du cancer du rein (cancer rare) parmi des patients souffrant d’insuffisance rénale a montré qu’on en retrouvait 40 à 100 fois plus chez les dépistés que dans la population générale. « Il est possible que les personnes souffrant d’insuffisance rénale soient plus à risque de développer un cancer du rein, mais il est improbable que l’augmentation de leur risque soit aussi forte. Je soupçonne que les patients subissent tout simplement plus d’examens systématiques des reins que les gens en santé. En d’autres mots, les médecins cherchent d’une manière plus systématique et ils découvrent un grand réservoir de cancers du rein restés inconnus jusque-là », explique Welch dans son livre « Dois-je me faire tester pour le cancer ? Peut-être pas et voici pourquoi».
Cancer de l’ovaire. L’effet d’un dépistage systématique sur la mortalité par cancer de l’ovaire a été évalué dans un vaste essai aux États-Unis d’Amérique. Plus de 78 000 femmes âgées de 55 à 74 ans, sans antécédent de cancer colorectal, du poumon ou de l’ovaire, et n’ayant pas d’antécédent familial particulier de cancer du sein ou de l’ovaire, ont été suivies pendant 12 ans ou plus pour la moitié d’entre elles. Une échographie transvaginale et un dosage d’un marqueur tumoral (le CA 125) ont été proposés aux femmes du groupe dépistage. Au total, environ 0,6 % des femmes ont eu un cancer de l’ovaire diagnostiqué. La mortalité par cancer de l’ovaire a été similaire dans les deux groupes, de même que la mortalité totale. Les cancers découverts à un stade avancé ont représenté environ 77 % des cas, sans différence entre les groupes. Pire, une femme sur dix s’est vu diagnostiquer un cancer de l’ovaire à tort. (Source: Revue Prescrire, février 2012.)
Le neuroblastome. Il s’agit d’un cancer rare de l’enfance, débutant près du rein et pouvant métastaser. On le dépiste par un test des urines du nourrisson. Plusieurs études ont montré que le dépistage conduit à un surdiagnostic massif, avec deux fois plus de cas dans la population dépistée, sans aucun bénéfice sur le nombre de décès. Le taux de mortalité est même un peu plus élevé chez les enfants testés. Le surtraitement peut en effet entraîner des décès et des handicaps chroniques. Or, il arrive que ce cancer régresse spontanément comme le montre une étude japonaise: sur 17 cas de neuroblastome de taille inférieure à 5 cm diagnostiqués à 6 mois, les onze cas non traités à la demande des parents ont tous régressés spontanément (« Spontaneous regression of localized neuroblastoma destected by mass screening », J Clin Oncol, 1998).
Cancer du côlon. Responsable de 15 000 décès par an, ce cancer est le deuxième cancer le plus fréquent chez la femme et le troisième chez l’homme. Le test Hemoccult II s’adresse aux personnes de plus de 50 ans sans antécédent digestif personnel ou familial. « Cet examen a malheureusement des limites gênantes : le test Hemoccult II peut donner des faux positifs en cas d’ingestion importante de viande rouge, d’aspirine ou d’anti-inflammatoires, de saignement hémorroïdaire ou gynécologique, etc., de sorte que seulement un peu plus de 10 % des coloscopies pratiquées dans la foulée confirme l’existence d’un cancer colorectal. Plus grave, le test Hémoccult II revient négatif chez près de 50 % des personnes porteuses d’un tel cancer ! », assure le Docteur Naïma Bauplé, chez notre confrère Pratiques de Santé. La coloscopie n’est pas un examen banal, car effectué sous anesthésie générale. « Ses complications peuvent ne se révéler que dans le mois qui suit l’acte médical… Ce sont, par ordre de fréquence décroissant : une hémorragie digestive, une perforation intestinale, une poussée de colite diverticulaire. Finalement, ce serait, au mieux, une personne sur 600 invitées au dépistage du cancer colorectal qui éviterait d’en mourir. Le dépistage de ce cancer est donc d’efficacité modeste, et en plus, dans le cas de faux négatifs du test Hémoccult II, il risque d’induire un sentiment de sécurité particulièrement trompeur ».
Traitements néfastes
« Primum non nocere », d’abord ne pas nuire, rappelle la célèbre maxime d’Hippocrate. En matière de médecine, le mieux est parfois l’ennemi du bien. Non seulement traiter certains cancers de manière précoce est inutile, mais cela peut aussi s’avérer nuisible. Des études tendent à prouver que l’interventionnisme médical sur une tumeur primaire peut conduire à déclencher l’apparition de métastases. Un article de revue a fait date en 2005 sur cette question : « Does surgery unfavourably perturb the “natural history” of early breast cancer by accelerating the appearance of distant metastases ? ». Publié dans le European Journal of Cancer par Michael Baum (Londres) et une équipe de chercheurs internationaux, il suggère que la chirurgie peut induire une angiogenèse (processus pathologique, primordial dans la croissance des tumeurs malignes et le développement des métastases) et la prolifération de micrométastases dormantes à distance, notamment chez des patients jeunes. Interpelé par cette étude, Bernard Junod, en sa qualité d’enseignant à l’Ecole des Hautes Etudes de Santé Publique de Rennes, a organisé un atelier de travail à partir de données françaises, avec la participation de professionnels de santé publique ainsi que des statisticiens de troisième année de l’Ecole nationale de la statistique et de l’analyse de l’information (ENSAI). Le résultat de ce travail a été présenté le 17 mai 2006 à Cédric Mahé, statisticien en charge de l’évaluation du dépistage du cancer du sein à l’INCa (Institut National du Cancer). Ce travail a pu s’appuyer sur les données d’un dépistage qui varie du simple au double en fonction des départements, et sur les taux de mortalité par cancer du sein, par département et par âge, en 2002. «En suivant sur trois ans des cohortes de femmes appartenant en majorité à des groupes d’âge dans lesquels on n’a pas cherché à intensifier le dépistage, on constate l’absence de lien significatif entre activité chirurgicale et mortalité. Par contre, dans les groupes d’âge où on a tenté de promouvoir le dépistage, on constate un lien statistiquement significatif entre l’intensité de l’activité chirurgicale en 1999 et la mortalité en 2002. Ce résultat est compatible avec l’hypothèse d’une accélération de la manifestation des métastases par la précocité des interventions à visée diagnostique ou thérapeutique sur une tumeur primaire évolutive. Les analyses plus approfondies par quartiles ainsi que de l’influence du type de cancer du sein opéré et de la catégorie d’établissement où l’intervention chirurgicale a eu lieu renforcent la compatibilité de cette hypothèse avec les données françaises». (Source : Bernard Junod, « Etude du lien entre précocité de la chirurgie sur le cancer du sein et mortalité par cancer du sein », Bruz : ENSAI, 2007.) L’hypothèse que la biopsie ou la chirurgie précoce des tumeurs puisse provoquer la formation de métastases est peu étudiée. Mais une chose est certaine : les traitements par radiothérapie ou chimiothérapie ne sont pas sans risques et sans effets secondaires, leur toxicité est reconnue. En l’absence de symptômes cliniques, traiter un début de cancer du sein, dont on ne peut savoir comment il va évoluer, est donc quoi qu’il arrive fortement nuisible pour la patiente. Et ce qui est vrai pour le sein l’est probablement aussi pour d’autres organes.
(1). « Investigation de l’épidémie apparente de cancer du sein en France : dépistage et évolution de l’incidence par le suivi de cohortes de naissance ». Adaptation en français de l’article : Junod B, Zahl PH, Kaplan RM, Olsen J, Greenland S. « An Investigation of the Apparent Breast Cancer Epidemic in France: Screening and incidence trends in birth cohorts ». BMC Cancer 2011, 11:401.
(2). http://www.cochrane.dk/
En savoir plus :
« Dois-je me faire tester pour le cancer. Peut-être pas et voici pourquoi », HG Welch, Presses de l’Université de Laval, Québec, 2005. Extraits disponibles sur www.books.google.fr.
(*) « No mammo, en quête sur le dépistage du cancer du sein », Rachel Campergue, préface de Bernard Junod, Editions Max Milo (octobre 2011).
(**)« Touche pas à ma prostate : un guide essentiel pour faire face au cancer de la prostate », Ralph Blum, Mark Scholz, préface de Henri Joyeux.
Editions Thierry Souccar (janvier 2012)
MAMMO OR NO MAMMO ?
Trois questions à Rachel Campergue, auteure de No Mammo ? (Ed. Max Milo), un livre qui scandalise mais qui met le doigt sur les effets pervers des mammographies systématiques.
Votre livre, c’est un sacré pavé… dans la mare d’octobre rose !
C’est vrai que No Mammo ? fait figure d’ovni : je ne suis ni journaliste, ni médecin. La réaction a été assez épidermique de la part de médias français engagés en faveur du dépistage du cancer du sein. C’est tout juste si, sur certains plateaux télé, on n’a pas voulu brûler le bouquin… (rire). On a tout fait pour me faire passer pour une dangereuse « ayatollah anti-dépistage ». Or ce n’est pas mon propos : j’ai simplement voulu donner aux femmes l’information scientifique qui ne leur parvient pas. Ensuite, chacune reste libre de faire ses propres choix. Heureusement, cela a donné lieu à des articles plus équilibrés dans d’autres journaux ou à des débats télévisés ouverts. Il semble que pour la première fois cette année, le surdiagnostic ait fait son entrée sur la place publique. C’est nouveau et c’est plutôt bon signe.
Pourquoi No Mammo ? est-il perçu comme un livre subversif ?
Parce que l’information est dangereuse et perturbatrice pour la mécanique bien huilée d’octobre rose ! Des journalistes m’ont posé une question désarmante: « A-t-on le droit de discuter du bien-fondé du dépistage ? », «Vous vous rendez compte, vous allez semer la confusion dans l’esprit des femmes ! » Soixante-sept ans après l’obtention du droit de vote en France, il semble que les femmes n’aient toujours pas le droit de voter pour la décision médicale qui leur convient le mieux : tout est décidé en amont. Visiblement, pour certains journalistes, dès que deux informations contradictoires se côtoient dans le cerveau d’une femme, elle est perdue ! Le pire, c’est que ce sont des femmes qui m’ont posé ces questions. Plus largement, No Mammo ? a été mal accueilli par nos instances gouvernementales en matière de santé publique parce que cela remet très profondément en cause ses recommandations, mais surtout sa façon de communiquer. Cependant, au lieu de discuter sur le terrain scientifique, j’ai entendu certains officiels déclarer qu’ils comprenaient mon malaise mais regrettaient que j’avais mis « de l’affect » dans ma réaction, un moyen de la cataloguer comme non rationnelle. Je souhaiterais en profiter pour rassurer ces personnes et leur dire que je vais bien.
Comment ont réagi les femmes à la sortie du livre ?
A la suite d’une émission de télévision, j’ai eu droit à un déluge de critiques acerbes de la part de « survivantes » du cancer du sein. On a été jusqu’à me souhaiter un cancer du sein, histoire que je comprenne. Il est très douloureux pour certaines femmes de reconnaître que le traitement lourd et agressif qu’on leur a présenté comme indispensable ne l’était peut-être pas. Après des années de conditionnement collectif, c’est une difficile remise en question. Octobre Rose est un tel battage médiatique, relayé par les stars, les labos cosmétiques, les rédacteurs en chef de journaux féminins, etc. On assiste à une «peopolisation» du dépistage du cancer du sein. Les incitations à se faire dépister sont proférées avec une légèreté inversement proportionnelle au degré d’information. Les bons sentiments servent de couverture à un dirigisme anachronique et souvent non perçu. Alors, partir de la conviction « on m’a sauvé la vie » pour aboutir à « j’ai peut-être été mutilée inutilement » est loin d’être évident… Il est pénible de constater que les victimes du dépistage peuvent en devenir ses plus fervents défenseurs. Mais ce livre s’adresse surtout aux femmes qui s’apprêtent à se faire dépister, afin qu’elles disposent d’outils de compréhension solides face à une information franchement infantilisante et paternaliste.
Le blog de Rachel Campergue :www.67ansapresledroitdevote.com
Certains cancers régressent spontanément
Argument majeur en faveur du dépistage, le dogme de la progression inexorable des lésions tumorales commence pourtant à vaciller.
Selon la théorie médicale communément admise actuellement, on pense qu’un cancer du sein évolue inexorablement et met toujours la patiente en danger de mort s’il n’est pas traité à temps.
En 2008, les résultats d’une étude (1) effectuée sur plus de 200 000 femmes suivies en Norvège entre 1992 et 2001 ont remis en question cette représentation simpliste du cancer. Les diagnostics de cancer infiltrant du sein ont été dénombrés dans deux groupes de femmes suivies pendant 6 ans. Chaque diagnostic fut obtenu à partir de l’examen au microscope du prélèvement d’une lésion suspecte. Dans le premier groupe, les femmes furent sollicitées tous les deux ans pour un examen de dépistage par mammographie durant ces 6 années. Dans le second, elles ont été sollicitées seulement au cours des deux dernières années de la période de 6 ans. Au terme de la période de 6 ans, on s’attendait à trouver autant de diagnostics dans chacun des deux groupes puisque le même examen y est proposé lors des deux dernières années de suivi. En réalité, on obtient des résultats très différents lorsqu’on compare les deux groupes. Les nombres de cancers diagnostiqués pendant 6 ans chez 100 000 femmes par groupe sont les suivants : 1 909 diagnostics de cancer dans le groupe invité à trois reprises pour le dépistage par mammographie, et 1564 seulement pour les femmes invitées une seule fois à la fin de la période de suivi de 6 ans. Cette différence de 345 diagnostics supplémentaires correspond à une augmentation significative de 22 %. Pour les auteurs de l’étude, ces cancers auraient régressé spontanément. Ce résultat met en doute la validité du diagnostic de cancer posé lors de l’examen des cellules prélevées dans le sein, ainsi que la théorie de la progression inexorable d’une lésion tumorale diagnostiquée comme «cancer».
(1)« The Natural History of Invasive Breast Cancers Detected by Screening Mammography » Per-Henrik Zahl, MD, PhD; Jan Mæhlen, MD, PhD; H. Gilbert Welch, MD, MPH Arch Intern Med. 2008;168(21):2311-2316.
Journaliste indépendante , Pryska Ducoeurjoly a mené de nombreuses enquêtes dans le domaine de la santé. Elle est l’auteure du livre « La société toxique » (Editions Res Publica)
Site web : http://www.pryskaducoeurjoly.com