Docteur en médecine, Catherine-Aimelet Périssol fait partie de ces praticiens de terrain qui ont « viré leur cuti » et sont devenus psychothérapeutes après avoir pris conscience du rôle pathogène des émotions et découvert la fonction de la maladie comme solution de survie . Bien que familiarisée à la médecine nouvelle du Dr Hamer et à la biologie totale du Dr Sabbah, c’est dans les travaux d’Henri Laborit qu’elle a puisé les idées qui lui ont permis de mettre au point le processus thérapeutique de la « Logique Emotionnelle ». A travers l’Institut du même non, elle enseigne aujourd’hui l’art de décoder « le sens bio-logique des émotions contenu dans le sens psycho-logique des comportements ». Ecrit avec sa fille journaliste, son dernier livre abord le thème de la culpabilité. Pour Catherine Aimelet-Périssol, culpabiliser est une bonne chose et il faut faudrait apprivoiser cette émotion au lieu d’essayer – vainement – de s’en débarrasser.
Issue d’une famille d’intellectuels, Catherine Aimelet-Périssol était vouée à faire des études littéraires. C’était sans compter son appétence pour la compréhension du fonctionnement de l’être humain sur les plans physique et psychique. « Tristesse, colère, mensonge, peurs, incompréhensions, agressivité,… Ces émotions soudaines et apparemment irrationnelles me déconcertaient. Intuitivement, j’ai cherché l’origine de ces tensions intérieures dans le fonctionnement biologique de l’être plutôt que dans la psychologie traditionnelle » explique celle qui s’est orientée, sitôt son bac littéraire en poche, vers la fac de médecine, à une époque où le numerus clausus n’existait pas encore. « Il a été mis en place un an plus tard. Depuis, les bacheliers littéraires sont de facto exclus des bancs de la fac de médecine » déplore-t-elle. Sa curiosité l’a rapidement poussée à quitter son rôle de généraliste pour se former à l’homéopathie, la naturopathie et la psycho-physioanalyse. C’est d’ailleurs lors de cette dernière formation qu’elle a véritablement fait le lien entre biologie et émotionnel. Depuis, Catherine Aimelet-Périssol a développé le concept d’une logique des émotions et mis au point le processus thérapeutique de la Logique Emotionnelle.
Logique Emotionnelle. Voila une association de mots qui ressemble à un oxymore puisqu’a priori nos émotions n’ont rien de logique. De quoi s’agit-il ?
Il s’agit d’un processus fondé sur le « bio-logique », littéralement la logique du vivant. La Logique Emotionnelle repose sur la compréhension des mécanismes biologiques à l’origine d’un changement d’état intérieur. C’est très différent de l’intelligence émotionnelle basée sur des mécanismes empathiques, de la psychanalyse qui ne prend pas en compte la dimension émotionnelle, et de la plupart des approches thérapeutiques qui appréhendent l’émotion comme un trouble de la pensée. Or, le corps est toujours « troublé » par l’émotion, bien avant la pensée. Il ne faut pas oublier que le mot émotion vient du latin « motio » qui signifie « action de mouvoir, mouvement ».
Votre point de départ, c’est donc le corps ?
Exactement. Lorsque l’on ressent une émotion, le corps va éprouver des sensations physiques qui vont le déstabiliser. Il va donc devoir chercher des réponses pour s’adapter à cette nouvelle situation. Cette adaptation est indispensable pour répondre au besoin qui jaillit (sécurité, identité, intégrité, …). Contrairement aux idées reçues, la prise de recul par rapport à un événement ne se fait jamais en cherchant à prendre de la distance par rapport à celui-ci mais au contraire en se rapprochant des sensations physiques qu’il a généré comme un mal de ventre, des frissons de peur,…
Le fait que vous preniez le corps comme point de départ de votre travail, et non l’esprit, n’a finalement rien de très étonnant pour le médecin que vous êtes. Travailler sur l’enveloppe a quelque chose de rassurant pour les praticiens…
Détrompez-vous ! J’ai certes été formée à l’université mais je n’ai jamais pris les réponses qu’elle m’apportait pour argent comptant. Je suis une clinicienne dans l’âme : je me fie davantage à ce que j’observe qu’à ce que mes professeurs me dictaient d’observer. J’ai d’ailleurs souvent été plus convaincue par les textes des écrivains, lesquels savent décrire la personne humaine dans toute sa complexité sans y poser de jugement, que par les approches psychologiques ou psychiatriques que j’ai pu lire. Je m’inscris en faux contre la dimension universitaire de la compréhension psychologique fondée sur l’évaluation des comportements. Ce côté très manichéen (tel comportement est « bien », tel autre est « mal ») m’a toujours dérangée et poussée a m’extraire de cette évaluation standardisée. Je plaide pour la réhabilitation de la puissance et de l’ampleur adaptative de chacun. Comme le disait Foucault, la meilleure des évolutions passe par le bon usage de soi. Or, dans ce soi, il n’y a rien à jeter. La façon dont nous nous adaptons est un processus de recyclage permanent. En revanche, il est vrai qu’en tant que médecin, j’accorde une attention toute particulière à la réalité corporelle du patient. Le corps est une donnée à laquelle je reviens rigoureusement afin que la dimension purement psychologique ne définisse pas la personne dans toute son entièreté
A vous entendre, c’est votre goût pour l’observation et vos lectures qui vous ont mises sur la piste de l’émotionnel. Vous êtes vous également appuyée sur votre expérience personnelle ?
Je ne connais aucune œuvre qui ne soit fondée sur une part de vécu. Je viens d’une famille d’intellectuels où les émotions n’étaient pas admises. J’ai donc abondamment puisé dans mon histoire, et plus encore dans la manière dont j’ai traversé ces épreuves familiales, pour élaborer la Logique Emotionnelle.
Forte de ce travail sur les émotions, pouvez-vous dire aujourd’hui que vous êtes en paix avec elles ?
Si seulement ! (rires) Canaliser ses émotions, c’est le travail de toute une vie car le corps ne cesse de s’adapter aux innombrables évènements qui agitent notre quotidien. Je peux dire en revanche que je suis nettement moins dupe vis-à-vis de moi-même et plus accueillante vis-à-vis des événements qui me tombent dessus. Je sens les résistances qui montent et les attitudes de bataille qui se mettent en place. En clair, je me vois à l’œuvre ! Je tiens cependant à faire une précision : l’enjeu n’est pas de se libérer de nos émotions, mais plutôt de libérer nos potentiels.
Qu’entendez-vous par là ?
Je vais vous répondre en vous donnant un exemple concret. Prenez le cas d’une femme qui passe son temps à se faire martyriser par son patron. Cette femme a deux options : se recroqueviller en signe de soumission par peur de perdre son emploi, bénéfice que je qualifie « de court terme ». Ou bien utiliser son potentiel en commençant par redresser la tête, puis oser une parole, et progressivement apprendre à s’affirmer. Vous voyez bien que le potentiel dont je parle na rien « d’extra-ordinaire ». Il s’agit de quelque chose qui existe à l’intérieur de chacun d’entre nous mais qui n’a pas encore été développé. Les émotions ne sont pas nos ennemies. Il faut « juste » leur redonner la place qu’elles occupent dans notre équilibre.
Vous considérez que les émotions ne sont pas nos ennemies. Pensez-vous la même chose des maladies ? Sont-elles quelque part des alliées censées nous alerter sur certaines problématiques émotionnelles non gérées ?
L’émotion s’exprime d’abord par des sensations, signal d’alarme qui augmente notre état de vigilance en rapport avec une situation perçue comme un danger. Mais nous sommes ici sur du court terme. Les maladies constituent un type de réponse donnée par le corps suite à une émotion enregistrée et entretenue par la mémoire sur le long-terme, qui peut finir par engendrer la maladie. Néanmoins, je n’irais pas jusqu’à dire que les maladies sont nos alliées. C’est selon moi un moyen d’alerter notre attention sur nous-mêmes, sur ce que notre corps éprouve. Elles présentent l’avantage de remonter la piste : « qu’est-ce qui se passe en moi quand je me sens ulcéré ? » C’est le symptôme d’un mal être qui permet d’orienter le patient vers la santé. Je suis d’ailleurs consternée de voir que la sécurité sociale s’échine à soigner les malades alors qu’elle devrait développer la santé, ainsi qu’une meilleure compréhension émotionnelle.
Est-ce un discours que les gens commencent à entendre ?
Les gens bien portants l’entendent généralement très bien ! Il est en revanche beaucoup plus difficile à admettre par les malades, car il suppose une remise en question de leur hygiène de vie et de leur modèle de pensée. Je suis cependant assez vigilante avec ce discours qui peut être perçu de manière très culpabilisante. Certaines personnes se disent : « si je suis malade, c’est que quelque chose dysfonctionne en moi. J’ignore ce que c’est mais c’est de ma faute ! » Or un malade qui culpabilise c’est un malade qui aggrave son cas. La logique émotionnelle est un facteur de compréhension bien plus subtile que « tomber malade = moyen d’aller bien ».
Vous vous référez beaucoup aux travaux du neurobiologiste Henri Laborit qui décrivait la maladie comme une porte de sortie au stress. Qu’est-ce qui vous a parlé chez lui ?
La découverte de ses travaux a été une révélation. Je peux dire qu’il y a eu un avant et un après la lecture de « L’éloge de la fuite ». Dans cet ouvrage, il décrit la dynamique dominant/dominé et montre que l’on peut en sortir à condition de comprendre les mécanismes intrinsèques. Ce sont ses théories qui ont convaincu le médecin que j’étais (alors en formation d’homéopathie et de naturopathie) de quitter le système médical pour écouter les conflits de domination (intérieurs ou avec autrui) qui, non gérés, provoquent la maladie.
En revanche, vous ne pipez mot du Dr Ryke Geerd Hamer dont vous vous adoptez pourtant la principale découverte : l’impact pathogène des chocs émotionnels. Est-ce parce qu’il n’est pas en odeur de sainteté dans la communauté médicale ?
Le Dr Ryke Geerd Hamer a mis en évidence le lien entre l’organisation tissulaire et le cerveau, mais n’en a jamais déduit une quelconque approche thérapeutique. J’adhère cependant à sa théorie : il n’y a pas de maladie sans émotion. D’ailleurs, quand un patient vient me voir avec une pathologie cancéreuse, je vais toujours chercher ce qui s’est passé dans sa vie les 18 – 24 mois précédant le déclanchement de sa maladie. En revanche, je me désolidarise totalement de lui quand il affirme que la maladie est une « réponse idéale ». La maladie n’a rien d’idéal ! C’est certes une réponse, mais une réponse de dernier recours lorsque le système émotionnel n’arrive plus à conserver son équilibre intérieur. Dans ce cas, la maladie s’installe et le corps prend le relai.
Et que pensez vous du Dr Sabbah selon qui la maladie est « la réponse parfaite du cerveau inconscient », lorsqu’un être vivant est confronté à un choc psychiquement ingérable ?
« Réponse parfaite du cerveau inconscient ». Cela fait partie des phrases lapidaires avec lesquelles j’essaie de prendre de la distance. Les travaux du Pr Lionel Naccache (neurologue à la Pitié Salpêtrière à Paris NDLA) ont mis en évidence que l’inconscient biologique était très loin de l’inconscient freudien. Or, j’ai l’impression que le Dr Claude Sabbah parle davantage de l’inconscient freudien. C’est cela qui m’ennuie. En outre, cette phrase peut être interprétée par certains patients de manière très culpabilisante, comme je l’expliquais tout à l’heure. Je vois régulièrement des gens affolés arriver dans mon cabinet qui cherchent à décoder leur inconscient pour comprendre quel « sale tour » ce dernier leur a joué et s’en vouloir d’en être arrivés là.
Vous venez de prononcer le mot « décodage ». Quel est votre rapport au décodage biologique ?
Je me suis intéressée de près au décodage biologique en collaborant notamment avec un ostéopathe très proche des travaux du Dr Salomon Sellam mais je ne suis pas entièrement convaincue. Je considère qu’il est bien sûr possible de faire un lien entre un symptôme – une maladie – et une émotion. Il est clair, par exemple, que lorsque l’on développe des habitudes de lutte, on souffre plus facilement d’ulcères ou de maladies cardio-vasculaires, car ces habitudes vont davantage mobiliser les organes de l’estomac et du cœur. Cela n’a rien d’étonnant. Mais je ne crois pas en l’équation : telle émotion précise = tel organe impacté = tel cancer particulier.
Vous affirmez que la Logique Emotionnelle est une voie d’harmonisation entre le corps et l’esprit. Peut-on en déduire que celui qui parvient à comprendre ses émotions n’a plus à avoir peur de tomber malade ?
Disons que la Logique Emotionnelle est une approche grâce à laquelle on peut pleinement participer à son équilibre. Elle est en cela assez proche de la méditation qui permet d’entrer en rapport avec son existence même : l’attention portée à sa respiration, à l’état corporel du moment, à l’expérience du présent, aux sensations éprouvées lors d’une émotion, permet à la personne de se réconcilier avec elle-même. Elle est en outre très attentive au vocabulaire employé. J’ai coutume de rappeler que certains mots ou tournures sont à bannir. Je pense par exemple à la manière de se définir par rapport à ce que l’on ne sait pas faire plutôt que de s’appuyer sur ses compétences. Ou de passer son temps à dire que l’on est « nul ». Ou encore de répéter inlassablement « il faut que », « je dois »,… Quel rapport pouvons-nous avoir à nous-même si l’on se décrit comme un être inculte ou un être de devoir et non comme un être vivant ?
Dans votre livre « Comment apprivoiser un crocodile » (Pocket), vous proposez un « autodiagnostic émotionnel » à partir des signes physiques, cognitifs et comportementaux, qui s’effectue comme un diagnostic médical destiné à repérer les symptômes. Quand on est vraiment dans un état de tension intense, submergé par ses émotions, cette auto-introspection est-elle possible ?
Soyons clairs : non ! Quand on est submergé par ses émotions, le mieux que l’on puisse faire est de se voir à l’œuvre et de reconnaître que l’on est bouleversé, réactif,… Cela peut paraître peu, mais c’est déjà énorme ! Etre conscient que le processus échappe à notre contrôle est le point de départ du travail. Mais attention là encore au vocabulaire employé : j’ai parlé d’observation et en aucun cas de « gestion » des émotions. Malgré la récurrence de cette expression, on ne peut pas « gérer » ses émotions biologiques en décrétant avec son cerveau analytique que la prochaine fois, on s’efforcera de moins pleurer ou de ne pas devenir irritable. Une émotion n’est pas un portefeuille d’actions !
Tristesse, irritabilité,… Il existe une multitude d’émotions. Pourquoi avoir choisi d’écrire plus particulièrement sur la culpabilité dans votre dernier ouvrage ?
Pour deux raisons : d’abord parce que la culpabilité est une émotion très riche qui se nourrit d’autres émotions telles que la peur, la colère ou la tristesse. Ensuite parce ma fille Aurore, qui est journaliste, m’a sollicitée pour l’écrire. J’ai accepté, car j’ai trouvé que c’était une aventure formidable. Ça me donnait en outre l’occasion de tordre le coup aux gros titres des magazines qui martèlent : « Stop à la culpabilité ! » Il faut impérativement sortir du paradigme selon lequel la culpabilité ne devrait pas exister car c’est totalement illusoire. Les plus grands « non coupables » sont de grands psychopathes ! L’idée n’est pas d’arrêter de culpabiliser, car nous en avons besoin pour exister, mais de l’apprivoiser.
Ecrire un livre sur la culpabilité avec sa fille n’a rien d’anodin. Etait-ce une expérience en partie thérapeutique ?
Certainement ! C’était en tout cas une expérience révélatrice que d’oser parler de ce sujet avec Aurore. Au départ, nos discussions étaient très intellectuelles et au fur et à mesure, elles sont devenues plus intimes. J’ai l’impression qu’une fois le livre terminé, quelque chose s’est apaisé. Aurore porte en elle la culpabilité inhérente aux aînés qui, quoi qu’ils fassent, sont incapables de remplir la mission de perfection dont les parents les chargent inconsciemment. Je crois que cette expérience m’a permis d’accepter de la laisser cheminer avec ses propres paradoxes.
Vous parlez beaucoup de l’enfance, siège du sentiment de culpabilité et, plus globalement, de nombre de fonctionnements dictés par le cerveau reptilien. Quid des fardeaux hérités de nos ancêtres chers à Anne-Ancelin Schützenberger ?
Tous les évènements perçus par nos cinq sens sont d’abord traités par le cerveau reptilien. Il réagit à nombre d’informations qui échappent à notre conscience mais qui sont susceptibles de déclencher des réponses et choix non conscients. Nous sommes largement régis par lui. Sans doute est-ce là que nous pouvons comprendre l’écho de certains fardeaux transgénérationnels. Il reste encore très mystérieux, contrairement au cerveau limbique de la mémoire et au néocortex, dont la cartographie est plus accessible. L’ensemble de nos comportements trouvent leur origine dans la biologie pour être, dans un second temps traités, sur un mode psychologique. De quoi inverser bien des croyances.
Pour aller plus loin
A lire : Le Dr Catherine Aimelet-Perissol a publié plusieurs ouvrages autour du langage des émotions. Le premier intitulé « Comment apprivoiser son crocodile » (2003) est désormais édité en format poche chez Pocket. Ont suivi « Quand les crocodiles s’emmêlent » (2005 – Robert Laffont), « Mon corps le sait » (2008 – Robert Laffont) et « Apprivoiser sa culpabilité » (2013 – Albin Michel).
Plus d’infos (conférences, ateliers, stages, formations, …) : www.logique-émotionnelle.com