Le 23 mars dernier, une vieille dame s’est éteinte discrètement, quasiment dans l’anonymat, à quelques jours de son 99ème anniversaire. Les journaux et les télés n’en ont presque pas parlé alors que cette psychologue et psychothérapeute française d’origine russe, professeur émérite à l’Université de Nice, était connue dans le monde entier pour une découverte absolument essentielle, plus capitale peut-être encore que celle de Sigmund Freud sur le langage de l’inconscient, celles de Carl-Gustav Jung sur l’inconscient collectif et les synchronicités, ou celles de Françoise Dolto sur l’image inconsciente du corps et l’intelligence affective des bébés. De son vivant, Anne Ancelin Schützenberger avait en effet pris place au panthéon de la psychanalyse en découvrant qu’un être humain n’était pas seulement le produit de son enfance et l’héritier psychique de ses deux parents, mais également le porteur involontaire de leurs mémoires familiales. Bien avant les recherches actuelles en épigénétique, cette pionnière de la santé globale avait compris que les symptômes et les souffrances d’un individu pouvaient trouver leur source lointaine dans le vécu émotionnel de générations plus éloignées, dans l’histoire de ses deux lignées et dans les drames ayant marqué ses ascendants. Reconnue comme la fondatrice de la psychogénéalogie, la théoricienne du transgénérationnel et l’inventeuse du génosociogramme, Anne Ancelin Schützenberger s’était fait connaître du grand public avec ses ouvrages « Aïe mes aïeux » (1993) et « Psychogénéalogie : guérir les blessures familiales et se retrouver soi » (2007). C’est véritablement une femme d’exception, une grande dame dont l’apport aux sciences et à la connaissance est inestimable, qui vient de tirer sa révérence.
Si son nom ne vous dit pas grand-chose et si son œuvre ne vous est pas familière, je vous suggère de lire la brève notice biographique établie par nos amis du site Généasens. Et pour mieux faire connaissance avec cette personnalité hors-du commun et ses travaux révolutionnaires, je vous invite à lire l’interview qu’elle avait accordée en 2009 au magazine Psychologies, le seul média à avoir titré sur la nouvelle de son décès et avoir manifesté à son égard une déférence rare. Un qui a dû également ressentir ce départ avec émotion, c’est le Dr Claude Sabbah. Instruit par le Dr Hamer sur la genèse conflictuelle des maladies et sur leur sens biologique, ce médecin français s’est rapidement aperçu que le choc déclencheur ne suffisait pas à éclairer un processus pathologique. Pour enrichir sa pratique thérapeutique et concevoir sa « biologie totale des êtres vivants », il a puisé dans les trouvailles de Dolto sur l’influence de la prime enfance et dans celles d’Anne Ancelin sur les racines généalogiques des maux. Pour lui aussi, il était clair que la « mal-a-dit » d’un être se programme dans le vécu de ses ancêtres, et que la logique de vie exprimée par une pathologie fait écho à des traumas mystérieusement transmis « de cerveau à cerveau ». La psychogénéalogie faisait partie intégrante de son enseignement et la plupart des praticiens de santé formés par le Dr Sabbah ou ses élèves tentent aujourd’hui d’explorer la « géniale logique » dissimulée dans l’histoire familiale de leurs patients. Certains d’entre eux, comme nos collaborateurs Eduard Van den Bogaert, Jean-Claude Fajeau ou Emmanuel Ratouis, se sont faits une spécialité de grimper aux arbres généalogiques et d’y cueillir des informations cachées porteuses de sens. Pour avoir débusqué quantité de fausses coïncidences dans son parcours personnel et dans la vie d’autrui, Anne Ancelin Schützenberger ne croyait pas non plus au hasard, tout en mettant en garde contre les décodages hâtifs et abusifs.
Dans le mensuel Néosanté, c’est peu dire que la disparue aura laissé des traces. Depuis sa création, notre mensuel fait la part belle au transgénérationnel en recensant les livres sur le sujet et en donnant régulièrement la parole à leurs auteurs. Parmi les figures de la psychogénéalogie que nous avons déjà interviewées, il y a notamment Elisabeth Horowitz, Serge Tisseron , Thierry Gaillard ou encore Isabelle Dadvisard. Une belle brochette de rencontres à notre actif, mais qui sont forcément éclipsées par les propos que nous avons recueillis en 2014, il y a tout juste 4 ans, de la bouche même d’Anne Ancelin Schützenberger. Je ne pense pas me tromper en affirmant que cette interview exclusive est la dernière que la vénérable vieille dame, alors âgée de 95 ans, ait accordée à un organe de presse. À l’époque, j’ai écrit que « la maman de la psychogénéalogie » faisait le bilan de sa carrière dans nos pages. Je ne savais pas que ce texte deviendrait une sorte de testament médiatique, l’ultime entretien d’une journaliste avec Anne Ancelin enregistré et reproduit sur papier. Si vous n’étiez plus ou pas encore abonné(e) à notre revue en mars 2014, vous pouvez le (re)lire en cliquant ici car nous l’avons mis en ligne sur notre site, en guise d’éloge funèbre. Dans les prochains mois, notre experte Carine Anselme va également rédiger un article résumant tout ce que l’auteure de « Aïe mes aïeux ! » aura apporté à la compréhension de la psyché et à celle des troubles et accidents de santé. Après ceux adressés l’année dernière à Guy Corneau, Ryke Geerd Hamer et Frédérick Leboyer, c’est un peu dommage de devoir multiplier les hommages posthumes. Mais c’est aussi notre rôle de célébrer la mémoire des découvreurs mésestimés et de contribuer à transmettre leur héritage à la postérité. Merci d’avoir été vous, d’avoir osé vos audaces et d’avoir si bien servi la vie, Madame Ancelin Schützenberger !