Passant de l’univers d’un « Jacques Séguéla à celui d’un Guy Corneau » (sic), Jean Closon a troqué, à la suite d’un travail en développement personnel, une carrière dans la publicité pour le métier de kinésiologue. Depuis douze ans, il se consacre pleinement à la face émotionnelle de l’être. Dans son livre, illustré par moult exemples et conseils pratiques, il partage la quête qui l’a mené à cette mue et à la genèse de ses blessures… et l’accompagnement de celles des autres : ces Maladresses parentales (1), inconscientes et involontaires, si intimes et si universelles. Touchant plus de 90 % des personnes qu’il reçoit en séance, ces maladresses parentales conduisent l’enfant (futur adulte et parent) à mettre en place des modes de survie et mécanismes compensatoires qui vont influencer son comportement, ses choix, ses orientations… au risque de se retourner contre lui-même et son entourage. Décryptage.
Propos recueillis par Carine Anselme
Dans ce virage à 180°C qui vous a mené à pratiquer la kinésiologie, vous pointez l’importance, dans ce choix, du test musculaire… Pourquoi ?
Le test musculaire m’offre un outil qui (me) permet d’entrer, de façon rationnelle, en contact avec la mémoire corporelle. En tant qu’homme, venant d’un univers rationnel, j’avais besoin de cet élément concret.
Comment les blessures de l’âme peuvent-elles se retrouver dans des symptômes bien tangibles ?
Il y a beaucoup de littérature autour du décryptage des maux. Les symptômes physiques, pour moi, sont une piste parmi tant d’autres. Je ne travaille pas directement sur les symptômes. Si une personne vient me voir et souffre d’un cancer, je vais travailler sur ce qu’implique, en termes de souffrance, le cancer. Ce qui m’intéresse, dans l’approche que je développe, c’est l’âme. C’est de là que partent beaucoup de choses. Si l’âme n’est pas en ordre et que le mental n’est pas raccord ou n’a pas contribué à ce que l’âme se sente mieux, le corps risque de trinquer, de s’exprimer. Corps et désaccords… En tout cas, ces désaccords sont au cœur de nos problématiques. L’âme a envie de vivre certaines choses (elle s’est incarnée pour ça !), mais il arrive que le mental ne lui donne pas l’occasion, ni l’autorisation de se dégager de comportements, croyances, mécanismes de survie ou modes compensatoires, qui n’ont plus de raison d’être au présent, puisqu’ils sont liés à un épisode du passé. Une personne est ainsi venue en séance, après avoir appris le matin-même qu’elle souffrait d’un cancer du sein. Sa première inquiétude était par rapport à son compagnon : « Je vais perdre ma féminité, il ne va plus m’aimer ! »
Quel a été l’enjeu de cette séance ?
Il s’agissait de remettre les pendules à l’heure. De pointer toutes les raisons pour lesquelles son compagnon l’aimait. Or, dans toutes ces raisons, le sein ne représentait qu’un millième… Elle avait focalisé tout l’amour sur un sein. L’enjeu du travail est de pouvoir ouvrir l’esprit. Dans ce cas précis, derrière son ressenti, il y avait un sentiment d’abandon du père. Cette annonce venait réveiller cette blessure. On a finalement relativement peu travaillé cette blessure, l’objectif étant alors « d’atterrir », de rationnaliser les choses. Le test musculaire permet d’être davantage dans le concret, dans le rationnel, plutôt que dans la souffrance émotionnelle ou l’incompréhension. Sans minimiser le choc d’une telle annonce, le travail accompli en séance a diminué considérablement sa souffrance. Nous avons ensuite poursuivi ensemble le travail.
Comment fonctionne concrètement le test musculaire ? Comment s’opère le lien avec la mémoire corporelle ?
Il a été mis au point par un couple d’Américains, avant même la création de la kinésiologie, en partant du constat qu’il existe une relation entre stress et tonus musculaire. Si je vous dis : « Venez dans mon bureau, je dois vous parler… Asseyez-vous. » Vous savez d’emblée que cela ne va pas être agréable ! Ce n’est pas uniquement une formule de politesse : l’invitation à s’asseoir prévient la baisse de tonus musculaire (les jambes qui flagellent, les bras qui « tombent »). Les recherches ont montré que, lors d’un stress, une partie du sang se retire des extrémités, pour se recentrer utilement vers le cœur ; un mécanisme de survie, remontant, selon une hypothèse, à une époque où on n’avait pas accès aux soins. En faisant le test musculaire, on constate qu’il existe une nette différence s’il y a stress ou pas. Si j’exerce une légère pression en évoquant un sujet sensible (votre père, etc.), je vais sentir que le muscle a un tonus musculaire faible, bien plus faible que lorsque je parle, par exemple, de vos dernières vacances…
Comment cela s’explique-t-il ?
L’école où j’ai suivi ma formation explique les choses ainsi: lorsque vous mettez les doigts dans une prise, vous ressentez des secousses électriques. Lorsque je vous touche, c’est la même réaction qui s’opère : cette énergie, ce flux, cette information, passe par le physique.
Votre livre souligne l’importance d’exprimer les choses qui nous ont blessés, pour maintenir un équilibre personnel et relationnel…
À mes yeux, s’exprimer librement est capital si l’on souhaite se maintenir en bonne santé, tant sur le plan psychique que physique. Mais j’ai eu l’occasion de constater qu’il est difficile pour la plupart d’entre nous de s’exprimer réellement. Autrement dit, de communiquer verbalement, de façon claire et sans détour, notre ressenti par rapport à un événement ou une situation qui nous affecte ou nous a affectés émotionnellement. Or, notre mental ne devrait-il pas agir ou réagir comme le fait tout naturellement notre corps ? Lorsque nous mangeons, notre corps digère, assimile et conserve ce dont il a besoin, il élimine ensuite le reste par voie naturelle. Alors, pourquoi n’en ferions-nous pas de même sur le plan de notre ressenti émotionnel ? S’exprimer librement devrait être un réflexe des plus naturels. Il s’agit de renvoyer à l’expéditeur son message, tel que nous l’avons perçu, ressenti. Lors de ce retour à l’expéditeur, il est extrêmement important de s’assurer auprès de lui que notre compréhension et interprétation de son message, de la situation, est bien conforme à ses paroles, ses pensées ou ses actes, afin d’éviter tout malentendu.
Comment expliquer que l’on ait tant de mal à s’exprimer librement ?
Pour un grand nombre d’entre nous, se défendre en renvoyant l’indigeste à l’expéditeur est souvent synonyme ou source de conflit, raison pour laquelle nous tentons d’accepter l’inacceptable. Ce type de réaction aura malheureusement pour conséquence d’alimenter notre corps de souffrances qui, à leur tour, augmentent notre niveau de stress et notre manque de confiance – envers nous, comme envers autrui. De plus, le risque de créer un conflit avec l’une ou l’autre des personnes de notre entourage peut représenter, aux yeux de certains, une raison suffisante de perdre leur reconnaissance et, bien pire encore, leur amour. Raison de plus qui nous pousse injustement à accepter l’inacceptable.
Cette peur de ne plus être aimé est d’autant plus viscérale lorsqu’il s’agit de s’adresser aux parents, envers qui nous développons une loyauté invisible…
Vous avez mille fois raison : il y a cet amour inconditionnel qui nous lie de manière indélébile à nos parents. Même lorsqu’une personne me dit : « Je déteste ma mère », elle finit souvent par reconnaître qu’elle aimerait tellement que cette mère la prenne dans les bras… Lorsqu’on a la chance de pouvoir encore s’adresser à ce père, à cette mère, à l’origine (souvent bien involontairement) de cette souffrance qui nous entrave encore au présent, je suggère d’aller parler avec lui, avec elle, de ce qui nous a blessé. Mais, c’est largement tabou… J’ai l’impression de demander d’escalader l’Everest en un jour (Rire) ! Il semble que pour les personnes en souffrance, tenter de se défaire, voire de guérir, de sa blessure équivaut inconsciemment à renoncer ou à couper le lien parental, ce qui génère alors un nouveau stress. Comme des enfants, les personnes me disent : papa va se fâcher, maman est trop âgée pour lui dire ça, ils ne vont plus m’aimer… Je leur conseille cependant de prendre leur courage à deux mains ! Je cite, dans le livre, l’exemple d’une jeune femme qui souffrait d’une blessure d’abandon invalidante – elle avait l’impression que son père l’avait délaissée, suite à la séparation parentale. Après avoir été rétive, elle a finalement accepté d’écrire ce qu’elle a vécu, ressenti. Elle a gardé longtemps la lettre dans son sac. Puis, un jour, elle est allée déjeuner avec son père et lui a donné cette lettre. Le père l’a lu… et il est tombé en pleurs, car il n’avait jamais soupçonné que sa fille ressentirait les choses ainsi. Grâce à ça, elle a pu apaiser sa blessure et se dire : « Je n’ai pas été abandonnée ! »
Ce « cordon affectif », comme vous dites, qui nous relie à nos parents est-il au centre de ce qui nous pousse à reproduire sans cesse les mêmes schémas ?
Oui, et je le souligne dans le livre. J’ai, en effet, essayé de comprendre pourquoi cette ou ces blessure(s) qui nous animent sont si présentes, si prégnantes et pourquoi la/les revit-on en boucle… voire cherche-t-on même à les revivre (et ce, même lorsqu’on en a conscience). Il semblerait que l’amour parental, au sein de ce cordon affectif, s’associe aussi facilement à la lumière qu’à l’ombre, au bonheur qu’à la souffrance. Aussi étonnant que cela puisse paraître, il s’agit bien là de l’une des origines possibles de ce dysfonctionnement nous entraînant à reproduire inconsciemment ce qui nous a fait souffrir dans la relation avec l’un ou l’autre de nos parents. À y regarder de plus près, cela semble naturel ; lorsqu’on est enfant, nos parents détiennent toutes les clés de notre équilibre. Garants de l’amour (de notre sécurité, etc.), ils sont les maîtres de notre royaume ! Donc, une jeune fille qui aime tout naturellement son père, va associer l’amour du père, du premier homme de sa vie, à une sensation diffuse. Si elle a souffert d’une blessure d’abandon, j’ai remarqué qu’à chaque fois qu’elle va aimer un homme, il devra y avoir un parfum d’abandon – l’un ne va pas sans l’autre. Et c’est véritablement chirurgicalement, au bistouri, qu’il faut aller travailler et nettoyer la blessure… Car même si l’on est conscient de cette blessure, il faut déprogrammer ce « bug ».
Concrètement, que conseillez-vous de faire ?
D’apprendre à faire connaissance : avec soi, certes, mais aussi avec ce père, avec cette mère. Parlez-lui de cette blessure et interrogez-le/la sur sa propre histoire. Vous allez alors réaliser que le transgénérationnel est à l’œuvre – reproduit à l’identique ou, au contraire, en réaction. Comme cet homme qui n’avait jamais ressenti d’amour de la part de son père, et qui surinvestissait la relation avec son fils, à tel point que l’enfant était en dépression, car il sentait que quelque chose n’était pas naturel. Le père, lui, ne s’en rendait pas compte… Souvent, je commence par voir l’un des membres de la famille, qui m’en envoie d’autres. C’est alors un travail systémique, transgénérationnel, qui s’accomplit.
Comment formuler par écrit nos blessures ?
Il y a généralement beaucoup de colère… Aussi, pour que le processus soit constructif, je conseille d’appliquer les principes de la CNV (Communication NonViolente) : parler au « je », éviter les « tu » accusatifs, exprimer ses besoins, etc. L’essentiel est de se concentrer sur sa douleur. Je préconise deux lettres : une lettre où l’on met, si j’ose dire, les deux doigts au fond de la gorge et on sort les « gros morceaux ». Cette lettre, on lui réserve le sort qu’elle mérite : on la jette dans les toilettes, on la brûle… Je suggère d’écrire ensuite une seconde lettre, plus apaisée. On y exprime ce que l’on a ressenti, ce qui nous a manqué, ce que nous aurions tant aimé, etc. Sans jugement, sans colère. Ces deux lettres représentent un gros travail ! Si on choisit de partager cette deuxième missive, il peut y avoir des réactions fortes, comme ce père qui dit : « Comment oses-tu, après tout ce que j’ai fait pour toi ?! » Il a entendu ce qui a été dit (la colère le prouve), mais il n’est pas prêt à l’accepter. Il l’acceptera peut-être plus tard… ou jamais, car cela le remettrait trop en question.
Quel serait votre message aux parents, puisque vous soulignez que ces maladresses sont en quelque sorte inévitables, nourries qu’elles sont des souffrances transmises de manière transgénérationnelle ?
Travaillez sur vos propres blessures ! J’invite chacun, chacune, à prendre conscience et découvrir ses blessures. J’aimerais d’ailleurs faire de la prévention : aller évoquer ce sujet dans les écoles, en rétho. Parler aux jeunes de leurs besoins (de sécurité, de reconnaissance, d’appartenance…). À cette étape-clé de l’existence, il est essentiel qu’ils prennent conscience des besoins non couverts, des blessures qui sont à l’œuvre. Qu’ils puissent aller en parler aux parents. Il ne faut pas attendre que cela se chronicise, parce qu’à cet âge-là, à la charnière entre l’enfance et l’âge adulte, on crée déjà l’humus de ce que l’on transmettra à ses propres enfants. Cette connaissance de soi est un des plus beaux cadeaux que l’on puisse (se) faire ; pour soi et les générations à venir.
En quoi la kinésiologie peut-elle nous aider dans ce travail de découverte de soi ?
Une personne venue en consultation m’a confié qu’elle appréciait particulièrement cette technique, car elle va nous chercher au plus profond de nous-même ; au niveau du corps. Or, le corps est véritablement le berceau de l’âme. Il peut donc nous parler de ce qui se passe dans nos tréfonds. Il s’agit d’aller rechercher, grâce au test musculaire, « qui » nous sommes, quelles sont nos aspirations… Réaliser, ainsi, dans quelles voies, activités, on peut s’épanouir, au regard de notre personnalité profonde. Vous n’imaginez pas le nombre de personnes qui veulent correspondre à ce que le père, la mère, attendent d’eux, et passent à côté de leur vie ?! Quand on a le courage de faire ce travail (de regarder ses blessures et ses besoins en face), des changements incroyables se produisent. Je reçois de nombreux témoignages émouvants à ce sujet.
Il en faut du courage, en effet, car ce que l’on découvre peut ébranler l’édifice : ces mécanismes de survie qui nous conditionnent depuis des lustres…
Je vais vous raconter quelque chose que je n’ai pas mis dans le livre, parce que je l’ai appris ultérieurement : un jour, je reparle à ma mère, « par hasard », de cette blessure d’abandon ressentie lorsqu’ils m’ont laissé, enfant, un soir chez des amis, sans rien me dire. Une blessure (que je raconte dans le livre) qui a longtemps conditionné mes relations. Ma mère me dit alors : « Mais Jean, je n’aurais pas supporté de te voir triste en partant ! » J’ai reçu la vérité en face. C’est ce qui m’a fait le plus de bien : ma mère est un être humain ! Je comprends maintenant pourquoi elle ne m’a rien dit, même si c’est d’un égoïsme fou. « Je » n’aurais pas supporté… mais elle n’a pas pensé, sur le moment, à la souffrance de l’enfant que j’étais ! C’est ce que je partage avec les personnes qui viennent me voir : en investiguant sur l’origine de vos blessures, vous allez peut-être recevoir une réponse cash, voire trash… mais cela vous fera quand même du bien, car vous comprendrez ce qui s’est réellement passé. Vos parents redeviendront humains – comme nous le sommes tous ! Peut-être aurais-je fait la même chose, si j’avais été à la place de ma mère ?…
Quelle est, au final, l’objectif de votre accompagnement ?
Tout mon travail est de repérer, avec la personne, la pelote de nœuds. De commencer à tirer sur le bon fil. Après, c’est à elle de continuer à démêler les choses. D’accomplir ce boulot d’enquête, de mettre en place les discussions nécessaires, voire de changer de casting – en couple, par exemple, terrain emblématique d’expression de nos blessures. Il s’agit de prendre conscience des répétitions, des doutes que l’on peut ressentir face à un partenaire, d’écouter notre intuition, d’interroger aussi son passé, etc. C’est essentiel d’apprendre à bien se connaître – soi et l’autre. Pour ne pas reproduire. Pour ne plus reproduire.
Et quel est le déclic qui permettra de ne plus entrer dans cette répétition mortifère ?
J’attends de la personne que j’accompagne cette énergie qui fait dire : ça suffit ! C’est ce que j’appelle la « théorie du Y ». Généralement, face à une situation donnée, on emprunte toujours la même branche du Y. Quand l’émotion se présente, elle nous propulse dans une réaction qui correspond à nos mécanismes de survie, nos modes compensatoires. L’enjeu est de pouvoir, dans la mesure du possible, soit réfréner cette émotion – ce qui est difficile – soit prendre du recul (en sortant par exemple de la pièce) pour réfléchir. On peut écrire ce que l’on ressent, ce que l’on a entendu, perçu. Du coup, on peut faire le choix de ne pas prendre la branche habituelle du Y, mais emprunter, consciemment, l’autre direction. L’objectif est d’arriver à multiplier cette réaction saine ; si vous le faites une fois sur trois, voire sur quatre, je vous tire mon chapeau (Rire) ! Avec le temps, vous arriverez peut-être à le faire deux fois sur quatre… Bien sûr, il y aura des moments où vous serez fatiguée, contrariée, où vous retomberez dans les vieux travers. Ce n’est pas grave !
Et si je « bugge » à nouveau ?
Il est encore temps de vous demander : qu’est-ce qui s’est passé ? D’en parler à cœur ouvert avec votre interlocuteur. Nous avons tous des cicatrices ; mon job est de diminuer l’infection liée à nos blessures ouvertes, à vif. Une fois que l’infection est apaisée, on peut voir nos blessures, toucher nos « cicatrices » sans souffrir. C’est là l’essentiel !
POUR ALLER PLUS LOIN
Jean Closon, www.decouvertedesoi.com
(1) À lire : Maladresses Parentales. S’en sortir et ne pas reproduire, Jean Closon (ITEP Éditions, 2012). Un livre est en cours d’écriture. Il se centrera sur les conflits – intra et interpersonnels.