Article n°106 Par Pryska Ducœurjoly
Près d’un demi-siècle après l’obtention d’avancées majeures pour les femmes, comme l’accès à la contraception et l’avortement, on assiste aujourd’hui au retour d’une pratique datant des années 70 et s’opposant au « patriarcat médical » : le self-help. Késaco ? À l’origine, le self-help (aide-toi toi-même) fonctionne en groupe : les femmes apprennent à observer leur sexe et le col de l’utérus avec l’aide d’un spéculum et d’un miroir. Au cours de ces réunions très privées, chaque femme peut évoquer ses problèmes de santé intimes et trouver, avec l’aide du groupe, des pistes de guérison. Il se trouve qu’à l’heure actuelle, cette pratique a le vent en poupe !
Rina Nissim peut témoigner de ce regain d’intérêt des femmes pour la connaissance de leur intimité. Pionnière du Mouvement international Femmes et Santé dans les années 70, elle a développé la toute première clinique alternative self-help à Genève, le Dispensaire des femmes (1978). Pour elle, “la question n’est pas de savoir ce qu’il reste du self-help aujourd’hui, mais de constater sa continuité. Ces dernières années, j’ai très souvent été sollicitée pour partager ce savoir. Après une génération où les femmes ont cru qu’elles pouvaient se reposer sur leurs acquis, des expériences de self-help fleurissent à nouveau au sein de groupes issus de milieux parfois très différents. Il y en a du côté des milieux spirituels, mais aussi des milieux anarchistes ou autonomes, ou encore du côté des professionnels, comme les professeurs de yoga qui peuvent proposer cela en atelier. Il s’agit d’expériences à petite échelle, mais cela pullule !”
L’héritage des années 70
Par son expérience au Dispensaire des femmes, mais aussi grâce aux nombreux programmes qu’elle a menés en Amérique latine et en Inde, Rina Nissim a participé à la diffusion de cette pratique et collecté un savoir ô combien précieux en matière de santé naturelle de la femme. Elle raconte, dans Une sorcière des temps modernes (paru en 2014), les innovations du dispensaire : “L’équipe était constituée de membres médicaux (médecins, infirmières et sages-femmes) en critique face à leur profession, et de non-médicaux, toutes issues du mouvement des femmes ou plus largement de la gauche soixante-huitarde. (…) En cas de maladie, un choix était proposé entre la médecine moderne occidentale (allopathie) et la naturopathie (phytothérapie, homéopathie, acupuncture, etc.) en prolongement de ce que nous avions expérimenté dans les groupes self-help. (…) Le plus important était d’encourager les femmes, lors de la consultation, à mettre elles-mêmes le spéculum et regarder leur col en premier. Elles se réappropriaient ainsi leur intimité et étaient en posture d’augmenter leur autonomie. Il n’y avait pas une femme médecin dans chaque consultation mais un duo de travailleuses (…). Pour nous, c’était révolutionnaire. Nous avions réussi à créer une nouvelle profession de travailleuses de santé accessible à toute femme motivée, avec une gynéco simple qui permettait aux femmes de se réapproprier leur santé et gagner en autonomie”.
La démarche a rencontré un grand succès, d’autant plus que les soins étaient efficaces. Le dispensaire arrêtera son activité en 1995 mais aura entraîné la création d’un grand nombre de centres de santé de ce type en Europe, notamment en Suisse, en Allemagne et en Belgique… mais pas en France ! Dans ce pays, il reste encore très délicat d’exercer une médecine naturelle, le Conseil de l’Ordre des médecins régnant sur la pratique médicale comme un chien sur son os.
Fruit de son expérience, Rina Nissim écrit en 1984 un premier livre : Mamamelis, Manuel de gynécologie naturopathique à l’usage des femmes. Réédité 5 fois (dernière édition de 2016), ce best-seller est devenu LA bible de la gynécologie naturelle do-it-yourself. “Tous les traitements proposés ont été utilisés au dispensaire des femmes (…) pour des pathologies comme les règles douloureuses, les cycles irréguliers, les fibromes, l’endométriose, le kyste de l’ovaire etc. ! ”, précise l’auteure.
De la dépossession à la reconquête
En introduction de ce manuel, écrit il y a plus de 30 ans mais toujours autant d’actualité, Rina Nissim rappelle que la lutte des femmes pour leur santé n’est jamais séparée du combat pour leurs droits. “Le mouvement self-help est né de la prise de conscience de l’immense dépossession de savoir/pouvoir dont les soignantes ont été victimes au profit de la caste des médecins. Les sorcières ont été brûlées car elles en savaient trop et depuis, la médecine a cantonné les femmes dans des rôles subalternes (…). L’obstétrique et la gynécologie donnent un exemple caricatural de l’expropriation dont les femmes ont été l’objet. En salle d’accouchement, les chaises sont conçues pour le confort des accoucheurs et non pour celui des accouchées. Quasiment toute la gynécologie a été entre les mains d’hommes qui n’ont ni utérus, ni vagin mais sont devenus les nouveaux savants de l’aire génitale et de sa médecine.
“Il en résulte un mur d’incompréhension, des thérapeutiques qui suppriment les symptômes sans traiter les causes, un usage effréné des hormones synthétiques dans des indications aussi larges que les règles douloureuses, l’acné… et même la ménopause. Ce sont des thérapeutiques lourdes de conséquences pour les maladies cardio-vasculaires, le cancer et les processus tumoraux, sans oublier les conséquences pour le délicat système hormonal ! (…) À Genève, comme ailleurs, pas mal de fortunes se sont faites “sur le dos des femmes” pas nécessairement malades, mais ayant besoin d’aide, comme par exemple un avortement ou un problème de stérilité.”
La technique médicale envahissante
Un constat toujours d’actualité selon Marianne Durano, chroniqueuse éco-féministe de la revue Limite (France) : “Depuis leur puberté jusqu’à leur ménopause, et particulièrement durant leurs grossesses, on habitue les femmes à l’idée qu’elles ont besoin de béquilles techniques et médicales pour vivre sereinement leur corps et leur sexualité. Vaccins, pilules, implants, prises de sang et traitements hormonaux : écarter les cuisses devant un cortège de gynécologues est considéré comme une routine pénible mais inévitable”.
Marianne Durano prépare un livre à propos de la mainmise de la technique médicale sur le corps féminin. “Cette gestion technique a permis d’évincer le corps féminin du champ politique. Plus besoin de révolutionner le monde du travail ou les relations de séduction, puisqu’on croit maîtriser la fécondité féminine, ses rythmes et ses contraintes ! Seule une prise de conscience à la fois féministe et écologiste permettra aux femmes de se libérer réellement de la triple entrave du dispositif médical, économique et symbolique dans lequel elles sont prisonnières. »
Vous l’aurez compris, le self-help en tant que réponse à l’ultramédicalisation ne consiste pas à se rendre régulièrement chez le gynéco pour suivre docilement le calendrier des dépistages… Ce serait plutôt le contraire. Et ce n’est pas sans raison. Le dépistage de la mammographie est aujourd’hui largement remis en question (voir Néosanté n°10, mars 2012, Les ravages du dépistage). Cette prévention secondaire (la maladie est déjà installée) est à double tranchant : combien de seins ou d’utérus enlevés par “précaution” alors que les tumeurs n’auraient pas évolué ? En matière de contraception, la prescription d’une pilule ou d’un stérilet hormonal peut par ailleurs s’avérer dangereuse (voir Néosanté n°60, octobre 2016, Les femmes prisonnières de la pilule). Le vaccin contre le cancer du col de l’utérus, quant à lui hautement recommandé, présente aussi tous les aspects d’une bombe sanitaire à retardement (voir Néosanté n°32, mars 2014, Vaccins anti-HPV, les jeunes filles sont des cobayes).
Aujourd’hui, les femmes considèrent leur gynécologue comme un partenaire mais non plus comme le référent absolu. Internet leur permet d’accéder à des informations indépendantes et alternatives qu’elles n’auraient jamais obtenues en consultation. Des solutions leur permettant d’adopter une attitude active en matière de santé, en toute liberté. Sur les réseaux sociaux, l’émergence de groupes d’entraide en gynécologie assure bel et bien cette continuité avec le mouvement self-help traditionnel. Le besoin est toujours là. “Les retours du terrain évoquent clairement une forme d’oppression, surtout lorsque les femmes veulent se soigner naturellement. Outre le manque d’écoute, elles sont souvent jugées, « ce sont des remèdes de grand-mère », face à la science présentée comme étant à notre service, explique Mélissa Moreau, administratrice du groupe Facebook “Gynécologie au naturel”.
Tentes rouges virtuelles
Le groupe “Gynécologie au naturel” est une émanation d’un autre groupe (secret) : “La voix de Shakti, gynécologie naturelle”. Ce dernier compte 10 000 membres au printemps 2017 en un peu plus d’une année d’existence ! “L’essor a été fulgurant et nous avons été dépassées par la situation. On a répondu à un besoin qu’on ne soupçonnait pas du tout ! ”, explique Charlotte Granet, l’une des administratrices du groupe, animatrice de cercles de femmes.
Émerveillée par le mouvement sud-américain Ginecologia Natural de l’écoféministe Pabla Pérez San Martín, Charlotte a cocréé cette tente rouge virtuelle “pour restaurer le savoir féminin occidental sans forcément aller chercher dans d’autres cultures. On ne sort pas indemne de quatre siècles d’Inquisition. Nous voulons faire revivre notre savoir, bien présent dans nos mémoires cellulaires. La transmission de femme à femme a toujours existé, mais avec l’appui des réseaux sociaux, la vague du féminin semble prendre de l’ampleur, et ce sur toute la planète.”
En fonction de la thématique du groupe, les partages de fichiers vont bon train : cela va de la prise en main d’un diaphragme à l’utilisation des plantes abortives en passant par des listes de praticiens de santé ouverts aux médecines douces, etc. Le groupe francophone Symptothermie, 6 000 membres en mars 2017 après deux ans d’existence, est pour sa part orienté sur une contraception do-it-yourself. Total des fournitures : un thermomètre. Efficacité : comparable à la pilule. Ce groupe est un digne héritier de la pratique de l’auto-examen du col, simplement avec les doigts et non avec un spéculum. On évalue aussi le “ressenti interne”. On arrive ainsi à déterminer son état de fertilité. Cris de joie et séquence émotion l’autre matin sur le groupe : “Grande révélation : J’AI TOUCHÉ MON COL !!! ”
Les réactions des membres de la communauté ne se font pas attendre : “ça me révolte quand même de me dire à quel point on ne se connaît pas : j’ai découvert mon col à… 28 ans ! J’ai appelé le médecin car je croyais que j’avais une tumeur ou un truc du genre ! ” ; “Pareil, 28 ans ! j’ai appelé en panique ma mère. Sage-femme, elle aurait pu me mettre au courant avant ! Elle s’est bien marrée en me disant que c’était effectivement mon col ! ”.
Savoir, c’est pouvoir
Le self-help du XXIe siècle va pouvoir s’appuyer sur ces nouvelles communautés, l’objectif restant le même que dans les années 70 : “Délier les langues et ouvrir des discussions favorisant les prises de conscience sur notre relation au corps, à la sexualité, sur la santé et sur les rapports de pouvoir entre hommes et femmes ou encore avec le monde médical”, explique Rina Nissim dans Une sorcière des temps modernes.
Grâce à internet, les propositions d’ateliers pour acquérir différents savoirs féminins sont aussi mieux connues et relayées. L’offre est même abondante, ainsi que celle des festivals du féminin. Autres temps, autres mœurs, les femmes ne s’échangent plus des kits d’extraction des règles (un moyen de contourner la loi anti-avortement), elles explorent d’autres aspects de leur gyn-écologie : “ Pour la pratique de l’auto-examen à l’aide d’un spéculum, je la recommande plutôt chez soi. Il n’est pas évident de se lancer dans un groupe où l’on ne connaît personne”, explique Marie Pénélope Pérès, professeur de yoga et accompagnatrice du féminin. “En atelier, je propose une exploration plus sensorielle, avec un descriptif de l’anatomie qui permet de se représenter son utérus ou de considérer le col comme quelque chose de naturel à toucher. La prise de conscience du lien seins-cœur-utérus peut s’avérer parfois bouleversante et changer définitivement sa relation au corps”.
Marie Pénélope Pérès initie également des femmes à une pratique corporelle pour le déclenchement des règles, potentiel soutien à la contraception. “C’est inspiré de la méthode Aviva Steiner, constituée de mouvements impliquant le bassin. Elle régule le cycle féminin et apporte de multiples soutiens à de multiples maux. Toute femme peut se l’approprier avec un peu de pratique”. Adelheid Ohlig, auteure de Luna Yoga, Mona Hébert, homéopathe au Québec, vulgarisent aussi activement ce savoir découvert dans les années 60. La méthode n’est pas encore très connue, mais elle pourrait le devenir. Une femme informée en vaut dix et les nouvelles vont vite sur les réseaux sociaux.
Apprivoiser son féminin
À côté d’un féminisme aux accents revendicatifs (la plupart des ateliers self-help actuels s’accompagnent d’une réflexion militante sur l’exclusion des personnes transgenres), émergent des pratiques self-help qui ne s’inscrivent pas dans un combat sociétal mais agissent davantage dans les profondeurs de l’être. C’est l’objet du livre Sagesse et pouvoir du cycle féminin écrit par Marie Pénélope Pérès et l’herboriste clinicienne Sarah-Maria Leblanc (Québec). “Un livre engagé, qui se situe dans la continuité des mouvements de libération de la femme, mais aussi dans une perspective plus vaste qui relie notre mémoire collective aux enjeux écologiques d’aujourd’hui ” (préface).
Les auteures expliquent comment une femme peut vivre en harmonie avec chaque phase de son cycle. La phytothérapie et les aliments qui nourrissent le cycle féminin sont autant de conseils simples pour renouer avec soi-même. Dans ce même courant, celui des femmes-médecine ou brujas (guérisseuses au sens chamanique), la gynécologie naturelle de Pabla Pérez San Martín rayonne maintenant au-delà de son Chili natal (350 000 J’aime sur la page FB Ginecosofia).“ La femme peut développer une grande puissance en croisant la reconquête sensorielle de son corps avec une meilleure connaissance des plantes, assure Marie Pénélope Pérès. C’est un savoir qui prend le temps d’apprivoiser chaque plante et nous relie à la tradition ancestrale des femmes. La connexion avec cette mémoire collective invisible peut réveiller la femme intuitive, instinctive, sauvage. Cela cimente une force au fond de soi. Après, on ne peut plus nous raconter n’importe quoi ! ”
Cette gyn-écologie participe à l’empuissancement de chaque femme (empowerment) en vue d’une reconquête collective du féminin. “Quand on parle du “Féminin”, on se situe en amont de l’aspect culturel ou politique de nos vies. Ce grand principe se trouve dans le territoire du corps et de l’Être. Lorsqu’une femme en prend soin, elle nourrit sa propre guérison mais aussi celle de son environnement.”
INFOS PRATIQUES
Livres et publications
- Une sorcière des temps modernes, le self–help et le mouvement Femmes et Santé, Rina Nissim, éd. Mamamélis.
- Mamamelis, manuel de gynécologie naturopathique à l’usage des femmes, Rina Nissim, 2011, 5e édition, éd. Mamamélis.
- Sagesse et pouvoir du cycle féminin, de Marie Pénélope Pérès, Sarah-Maria Leblanc, éd. Le Souffle d’Or (2015, réédition 2017).
- Manual Introductorio a la Ginecología Natural, Pabla Pérez San Martín (www.ginecosofia.com). Du même auteur : Del cuerpo a los raices.
- Luna Yoga, Adelheid Ohlig, 2014, éd. Mamamélis
- La médecine des femmes, une vision naturelle de la santé au féminin. Mona Hébert. Réédition 2011 au Souffle d’Or.
- L’auto-examen : un geste de santé, Caroline Larue, 1986, éd. du Remueménage.
- La Ménopause, réflexions et alternatives aux hormones de remplacement, Rina Nissim, 2015, éd. Mamamélis.
Deux ouvrages historiques
- Notre corps, nous-mêmes, Boston Women’s Health Book Collective, Collectif de Boston pour la santé des femmes, Albin Michel, Paris, 1977. Texte pionnier du Mouvement self-help des années 60 et 70. Cet ouvrage a été traduit en 31 langues et le groupe est toujours actif aujourd’hui.
- Sorcières, sages-femmes et infirmières, Barbara Ehrenreich et Deirdre English, figures du Mouvement pour la Santé des Femmes. Publié en 1973 aux États-Unis, une enquête sur la diabolisation des guérisseuses populaires au XVIe siècle en Europe, la mise à l’écart des sages-femmes au XIXe. Plus récemment, sur le même thème, Caliban et la sorcière, Silvia Federici, 2014, éd. Senonevero/Entremonde.
Ateliers d’auto-examen
- ASBL Femmes et Santé (Belgique). Ce centre propose des ateliers d’auto-examen. www.femmesetsante.be.
- Facebook Self-help Toulouse (France). Ateliers proposés dans une démarche dite de « non-mixité choisie », c’est-à-dire ouverte à toute personne disposant d’organes génitaux féminins.