Résumé de l’épisode précédent: parmi toutes les peurs primitives avec lesquelles nous venons au monde, il en est une omniprésente : la peur de la sanction en termes de rejet ou de violence. Pour d’excellentes raisons liées au contexte de nos lointaines origines, notre cerveau archaïque considère cette éventualité comme critique puisqu’être rejeté par la mère au début de la vie ou ensuite par le groupe équivaut à une condamnation à mort. Quant à la violence, elle peut être mortelle ou provoquer de graves blessures, ce qui revient au même (voir Néosanté n°13 – Juin 2012).
La peur anticipatoire
Nous avons très peur dès que nous sommes concrètement confrontés à la sanction en termes de rejet ou de violence, et même si notre vie n’est pas réellement en danger. Dans ce cas, notre cerveau nous croyant en très mauvaise posture, nous nous retrouvons à gérer une peur profonde sans forcément le savoir. Cela peut avoir de sérieuses conséquences si cela s’inscrit dans la durée, comme pour les enfants rejetés ou battus par exemple.
Nous avons aussi très peur lorsque nous nous sentons menacés d’une sanction, même si ce n’est pas le cas. Il suffit qu’un proche reste silencieux ou qu’il fasse une colère pour nous faire craindre son rejet ou sa violence, même si nous savons qu’il a des soucis ou qu’il fulmine contre son patron. Dans ce cas aussi, notre cerveau nous croit en danger, comme si une sanction était imminente.
Mais surtout, nous consacrons l’essentiel de notre existence à craindre l’éventualité d’une sanction. Pour le meilleur et pour le pire, cette peur anticipatoire de la sanction dirige tout simplement notre vie puisque nous devons absolument éviter d’être “sanctionnables“. Cette peur est omniprésente. Vous êtes sceptiques ? Alors demandez-vous quelle question vous vous posez le plus souvent dans votre vie ; vous constaterez que c’est : «Mais que va-t-on penser de moi ?».
Plaire et ne pas déplaire
Car nous sommes complètement obsédés par l’obligation de plaire et surtout de ne pas déplaire, puisque finalement notre vie en dépend. Dès l’instant où nous sommes en relation à l’autre, nous nous efforçons de lui plaire afin qu’il nous apprécie et à ne surtout pas lui déplaire afin de ne pas risquer son rejet ou sa violence.
En permanence, nous mettons tout en œuvre pour d’abord séduire l’autre afin de nous concilier ses bonnes grâces et s’en faire un allié : ne soyons pas dupes. A noter que la séduction n’a pas seulement pour utilité de mettre les beaux garçons et les jolies filles dans son lit : il suffit d’observer les enfants pour s’en convaincre ; ce sont d’incroyables séducteurs. Quant à la diversité des outils de séduction dont on peut faire usage, elle est tout simplement infinie.
Mais nous devons surtout être irréprochables afin de ne pas déplaire. Alors en permanence, avant d’être ou de ne pas être – de faire ou de ne pas faire – de dire ou de ne pas dire, nous nous demandons toujours au préalable si ce que nous avons l’intention d’être ou ne pas être – faire ou ne pas faire – dire ou ne pas dire – ne risque pas d’être mal perçu. Cela occupe finalement l’essentiel de notre existence.
Ainsi par exemple, à l’instant où j’écris ces mots, je suis très préoccupé par la nécessité de vous plaire et de ne surtout pas vous déplaire tant sur le fond que sur la forme de mon propos. Cela me fait choisir chaque mot avec beaucoup de soin et être très attentif à ne pas faire de faute. Sans compter que je dois aussi respecter les délais et ne pas dépasser le budget caractères, sans quoi je risque de déplaire au rédac-chef : j’vous dis pas la prise de tête tous les mois…
Conséquences
Elles peuvent être «anecdotiques», comme ce petit exemple de ma vie quotidienne, mais aussi tellement plus handicapantes. Cette peur de la sanction et la nécessité de plaire et ne pas déplaire peuvent nous compliquer passablement l’existence au point de nous bloquer dans notre évolution.
Par exemple : elle est déjà l’origine de la timidité et du rougissement qui pourrissent la vie de certaines personnes au point parfois de les empêcher d’avoir une vie sociale. Ce sont les deux principaux signes cliniques de cette peur.
Par exemple: elle peut empêcher de prendre la parole en public, ce qui peut avoir de fâcheuses conséquences au niveau professionnel. Et elle handicape beaucoup certains artistes quand ils doivent monter sur scène.
Par exemple: elle nous fait souvent mentir pour modifier la réalité et nous éviter une sanction, ou encore pour l’embellir afin de nous faire aimer, jusqu’à la mythomanie parfois (voir mon article sur le mensonge dans Néosanté n°5 – Oct 2011)
Par exemple: elle est à l’origine de beaucoup d’échecs scolaires puisque le système éducatif classique est basé sur la sanction : t’as cinq fautes, t’as zéro. Mieux vaut savoir qu’il est impossible d’apprendre et de restituer quand on a peur.
Par exemple: elle peut nous faire suivre un parcours professionnel qui ne nous convient pas puisqu’on l’aura choisi, avec ou sans conscience, pour plaire ou ne pas déplaire à papa/maman, ou encore pour rester fidèle à une tradition familiale.
Et cætera puisque cette peur est à l’origine de tellement de difficultés, comme la culpabilité, la honte, la dévalorisation, la superstition, le bégaiement, l’éjaculation précoce (voir Néosanté n°1 – Mai 2011) et beaucoup d’autres.
Dans le meilleur des cas, cette peur nous vaut «seulement» de ne pas être nous-mêmes puisque nous avons l’obligation de plaire et/ou de ne pas déplaire. Mais elle peut avoir de bien plus graves conséquences.
Par exemple: elle est à l’origine de beaucoup de névroses sociales si fortes qu’elles nécessitent un internement en hôpital psychiatrique, la personne ne pouvant être en relation avec l’autre tellement elle en a peur.
Par exemple: elle mène parfois au suicide, soit pour éviter l’opprobre de la famille ou de la société en cas de fautes graves, ou encore pour ne pas donner une image dégradée de soi, en cas de faillite ou de maladie par exemple. Mais surtout, cette peur est finalement la véritable cause de tellement de somatisations, des plus bénignes aux plus mortelles.
A suivre
C’est précisément ce dont je vous parlerai la prochaine fois : comment cette peur de la sanction en termes de rejet et de violence est si souvent la cause de la cause, c’est-à-dire l’origine de notre conflit intérieur qui nous vaut de somatiser en fonction de sa tonalité spécifique.
Laurent Daillie