Il m’a fallu plus de 20 ans pour comprendre que les métiers à risque vont souvent de pair avec un désir de mort de l’enfant, de la part d’un des parents ou des deux à la fois. Nous sommes programmés pour ne pas comprendre ce qui nous touche de près. Notre conscient est tellement habile à nous masquer l’influence de notre inconscient ! Et plus cela nous concerne, plus c’est puissant et évident, moins nous le comprenons ! « Choisir » un métier à risque , cela consiste à dire : « j’ai dérangé, ne vous inquiétez pas, je vais m’efforcer de disparaître »…
Symbolique
Pour aller plus loin dans le décryptage, il faut s’intéresser à la symbolique : que raconte le contexte d’un métier à risque ? S’il se déroule dans les airs ou en montagne, il faudra considérer que se rapprocher du ciel, c’est pour nous , qui sommes issus de deux mille ans d’éducation judéo-chrétienne, se rapprocher du Père. En première piste, on ira donc plutôt chercher le manque de père ou le conflit au père. Dans ce cas, le père peut être présent physiquement, mais il est vécu comme absent car les relations sont inexistantes ou conflictuelles. Son enfant lui a posé problème. Il peut s’agir d’un père violent. La première question à se poser et qui peut expliquer bien des choses est la suivante : « Qu’aurait été la vie de mon père si je n’avais pas existé ? » Passer sa vie à escalader des sommets ou disparaître lors d’une ascension en montagne peut alors correspondre à une forme de signature inconsciente de la part de l’enfant : « Tu vois papa, je tente de venir vers toi ! » ou « Tu vois papa, je meurs en venant vers toi car, si je n’avais pas existé, les choses auraient été tellement plus faciles pour toi… »
Nos plus lointains ancêtres ont toujours considéré le ciel comme le lieu des esprits, du repos des âmes. Par conséquent, il faudra également explorer la piste du deuil non fait. Si au contraire, je tiens à prendre des risques sur la mer ou sous terre en pratiquant la spéléologie, il faudra par opposition chercher une problématique à la mère. Quel problème ma conception lui a-t-elle posé ? Quel secret cache-t-elle ? « Pourquoi passons-nous tous nos étés à la « Faute-sur-mère » ? »
Hypothèse
L’hypothèse que je formule est la suivante : plus le problème posé aux parents par l’enfant sera important dans leur ressenti, plus sa prise de risque sera grande par la suite. Selon sa problématique, il pourra alors aller jusqu’à mourir en montagne, sur l’autel symbolique de son père, ou bien en mer ou sous terre, sur celui de sa mère… Par ailleurs, il existe évidemment bien d’autres façons de prendre des risques, comme tout simplement la conduite automobile. Qui conduit vite dans la famille ? Qui s’autodétruit en consommant de l’alcool ou de la drogue ? La prise de risque ou les conduites suicidaires peuvent s’exprimer de bien d’autres manières pour qui n’a pas eu accès à la montagne ou n’a pas eu les moyens de devenir pilote… Je pense aux métiers qu’offre l’armée par exemple, ainsi qu’aux pompiers (travail qui consiste symboliquement à éteindre le feu du père avec l’eau de la mère). On cherchera d’abord évidemment les mémoires d’incendie ou de secours trop tardifs dans l’histoire familiale, mais aussi les excès sexuels d’un homme dont il faudrait calmer le feu corporel…
En prenant des risques, l’enfant cherche donc inconsciemment à réparer le problème qu’il a posé. Si je meurs, qui j’arrange ou qui je libère dans l’arbre généalogique ? La première fois que je rencontrai mon thérapeute, Michel Charruyer, il me posa très vite trois questions : « Que préfères-tu dans la vie ? Que détestes-tu le plus ? Et de loin, la plus difficile : quel est ton programme ? » Cette question me plongea de plein-pied dans ma problématique. Ainsi j’accomplissais peut-être un programme qu’il m’aurait coûté jusque-là de regarder en face. Après trente ou quarante secondes de réflexion, je lui répondis : « Mourir au plus vite ! » Il me répondit tout simplement : « C’est juste ! »
Exemple extrême
Jean-Philippe, qui avait posé un énorme problème à ses parents en venant au monde, «choisit» de disparaître de manière tragique : gérant d’un bar, il venait d’avoir à faire à un contrôleur de l’Urssaf qui l’avait menacé d’un important redressement. N’étant pas dans une situation financière facile et se trouvant par ailleurs confiné, coincé dans un puissant conflit au père, donc à l’autorité, Jean-Philippe alla trouver ce contrôleur et menaça de s’asperger d’essence et de s’immoler par le feu s’il persévérait. Essuyant une fin de non-recevoir, il revint quelques jours plus tard, s’aspergea d’essence, alluma son briquet et mit ainsi fin à ses jours devant lui. Ce qu’il faut souligner, c’est que moins d’un mois plus tôt, Jean-Philippe avait retrouvé son père biologique après des années de recherches. Plein d’espoir, il était allé le trouver. Et ce dernier l’avait éconduit sans le moindre ménagement en le traitant de « sale bâtard ! » Le refus du contrôleur de l’Urssaf de reconnaître la difficulté de sa situation fut le refus de trop. Face à l’attitude de ce père symbolique, c’est comme s’il devait endurer une deuxième fois la blessure de rejet paternel.
Comme on l’a vu dans d’autres histoires, Jean-Philippe, qui était né avec un projet-sens très défavorable puisque son père avait désiré sa mort, n’a fait que suivre son « programme » à la lettre. Ainsi, il avait remboursé sa dette de non-amour : « Vous ne vouliez pas de moi, je sais que je vous ai pourri la vie, ne vous inquiétez pas, je vais disparaître… »
Comme dit le Dr Philippe Dransart, les manques d’amour dont nous souffrons parfois dans notre enfance peuvent avoir instillé en nous une « culpabilité d’exister » que nous allons chercher à réparer de différentes manières. De nombreuses personnes à l’enfance difficile ont eu le sentiment qu’elles étaient de trop. Quelque part, nous sommes en dette, et certains d’entre nous n’en finissent pas de la payer…
Emmanuel Ratouis
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