Non, je ne vais pas vous fredonner le refrain de Bécaud. Ni plagier Moustaki qui ne se sentait « jamais seul avec sa solitude ». Mais je vais quand même vous chanter quelque chose, en l’occurrence les louanges de ma lecture de vacances, un essai scientifique précisément intitulé « Jamais seul ». Publié chez Actes Sud, cet ouvrage exceptionnel est l’œuvre de Marc-André Selosse, un biologiste français de 49 ans, qui est professeur au Museum d’histoire naturelle et à l’université de Gdansk, en Pologne. Sa spécialité ? Les micro-organismes et les liens symbiotiques qui les unissent aux plantes et aux animaux. Dans ce bouquin exigeant se lisant toutefois comme un roman, l’auteur nous conte une véritable révolution scientifique, celle qui se déroule en ce moment même quant à l’appréciation du rôle des microbes. Depuis l’invention du microscope et surtout depuis Pasteur, on a regardé les germes comme des agents extérieurs porteurs de maladies, voire comme des agresseurs invétérés du genre humain. Désormais, nous savons que tous les organismes vivants, végétaux ou animaux, dépendent intimement des bactéries, champignons ou virus qui les habitent. Les microbes contribuent à leur nutrition, à leur développement, à leur immunité (qui ne peut plus être assimilée seulement à un système de défense) ou même à leur comportement et à leur fonctionnement psychique. Toujours pris dans un réseau d’interactions microbiennes, les êtres vivants peuplant la terre ne sont donc… jamais seuls.
Au fil d’un récit érudit foisonnant d’exemples et d’anecdotes historiques, Marc-André Selosse détaille d’abord de nombreuses symbioses qui associent microbes et plantes. Les premiers sont tellement indispensables aux secondes – ils ont par exemple inventé la photosynthèse – qu’il est inexorablement suicidaire de stériliser le sol par des intrants chimiques. La seule fertilisation réduit déjà la mycorhization, c’est-à-dire l’alliance des champignons et des racines des plantes, sans laquelle un végétal ne peut se développer sainement. Le livre décrypte ensuite les extraordinaires adaptations symbiotiques des animaux, qu’ils soient marins ou terrestres. On y apprend notamment qu’une vache ne se nourrit pas d’herbe, mais des bactéries contenues dans son rumen et qui ont fait fermenter l’herbe broutée. Comme tous les animaux, l’être humain abrite dans son tube digestif (et pas seulement là) des levures et des bactéries formant un microbiote indispensable à sa survie et à sa santé. Marc-André Selosse s’inquiète, entre autres, de la banalisation des césariennes, des antibiothérapies prolongées, des effets funestes de l’allaitement artificiel et de l’obsession aseptique contemporaine. Il plaide avec brio pour une « saleté propre », autrement dit pour une hygiène de vie réhabilitant largement l’univers microbien dans sa fonction adaptative et immunisante. Enfin, l’ouvrage démontre le rôle des symbioses microbiennes au niveau des écosystèmes, de l’évolution, du climat (!) et des pratiques culturelles et alimentaires (vin, bière, fromage…) qui ont forgé les civilisations. Les bactéries ont précédé les eucaryotes et elles forment aujourd’hui l’écrasante majorité du génome véhiculé dans nos cellules. Si tout autre type de vie disparaissait, les microbes pourraient encore animer des sortes de silhouettes humaines dotées d’un cœur ! Et l’auteur de s’interroger en conclusion : qui dit « je » quand je parle : moi ou le microcosme étranger que j’héberge ? Le monde visible ne serait-il que l’écume des tribulations microbiennes ?
Destiné à tous les publics, ce fantastique essai magistralement transformé constitue une mine d’informations pour les amoureux de la nature et des animaux, les enseignants, les médecins et les pharmaciens, les agriculteurs et les jardiniers, et plus généralement pour tous les curieux du vivant. À l’issue de ce périple dans l’univers microbien, le lecteur, émerveillé, ne pourra plus porter le même regard sur le monde qui l’entoure. A fortiori, il ne pourra qu’adopter une autre vision sur le rôle positif des microbes dans l’édification d’une vitalité et d’une santé naturelles. Les lecteurs familiarisés à la médecine nouvelle du Dr Hamer ou à la biologie totale du Dr Sabbah y trouveront des arguments scientifiques donnant raison à ces deux médecins d’avant-garde et justifiant amplement un changement du paradigme médical actuel.
Histoire de vous mettre l’eau à la bouche et vous donner envie de lire ce livre (*), je vous en propose six extraits. Six passages choisis subjectivement mais à mon sens assez représentatifs de son contenu relatif à la santé. Les titres introductifs sont de ma composition.
- L’indispensable lait maternelUn allaitement au sein favorise un « bon » microbiote de deux façons. D’abord, la surface du mamelon et les orifices des glandes mammaires sont sources de bactéries : il y en a jusqu’à 1 million par millilitre de lait maternel, alors que le lait stérilisé et la tétine désinfectée en sont dépourvus. Mais le mécanisme le plus époustouflant est que le lait contient… un aliment pour les bactéries favorables ! On parle souvent des anticorps du lait, qui, de fait, régulent aussi favorablement la composition du microbiote de l’enfant, mais on ignore souvent un autre constituant. Le lait humain contient en abondance des oligosaccharides, formés de 3 à 5 molécules de sucres reliées entre elles, qui sont par leur abondance (15 grammes par litre) le troisième constituant du lait, après le lactose et les lipides, mais devant les protéines ! Comme ils ne sont pas digérés par l’enfant, on a longtemps méconnu leurs fonctions biologiques et ils n’ont pas été ajoutés aux laits maternisés, dérivés de laits bovins qui en sont dépourvus. Or, ces oligosaccharides ont, indirectement, un rôle majeur pour l’enfant : (…) ils « corrigent » le microbiote, ils agissent en nourrissant des bifidobactéries et des lactobacilles favorables.
- L’infection comme occasion d’évolution Il faut réviser la vision d’un système immunitaire cantonné au rejet des pathogènes : localement, dans l’intestin, mais aussi partout où existe un microbiote, il est plutôt un pâtre, gardien (et non agresseur) de troupeaux microbiens. Les microbes ne doivent en effet pas tous être évités et le système immunitaire a aussi un rôle dans le tri et la tolérance du microbiote symbiotique. De la même façon, les molécules issues des microbes ne sont pas toujours des indices d’agressions : dans certains contextes, par exemple en présence d’autres molécules indiquant des lésions cellulaires, elles entrainent une réaction de défense ; mais dans d’autres, elles ont un simple rôle de dialogue, par exemple pour la maturation ou la régulation du système immunitaire… Un signal microbien n’est donc pas toujours négatif, et notre lien aux microbes n’est pas seulement défensif.
- La médecine de demain sera biotiqueDes bactéries soigneront peut-être demain non seulement les problèmes digestifs, inflammatoires, microbiens ou allergiques, mais aussi notre humeur et notre sociabilité. D’ores et déjà, nous devons imaginer cette « saleté propre » qui, en validant les gains de santé dus à l’hygiène, promet un gain complémentaire en réintroduisant les bons microbes. C’est ce que nous propose la théorie hygiéniste, en filigrane de son explication des allergies, des maladies auto-immunes ou de l’autisme. Tolérer une saleté propre fait écho à cet arbitrage délicat de nos entrailles qui tous les jours trient, en matière de microbes, le bon grain de l’ivraie, à coups d’acidité stomacale, de mucus intestinal, de sels biliaires, de conflits inter-microbiens … et de défenses immunitaires, mais en dernier lieu seulement. Parmi les gestes quotidiens qui trient figurent le choix des aliments (dont les fibres et un degré de stérilisation modéré), une certaine liberté laissée à l’enfant de flirter avec la saleté, l’utilisation raisonnée du nettoyage et de l’antibiothérapie. Demain figureront peut-être d’autres manipulations, transplantatoires (microbiotes issus de donneurs sains) ou implantatoires (par prébiotiques ou probiotiques).
- Notre planète appartient aux microbesOn estime que les bactéries sur Terre (il y en a 10 000 milliards de milliards de milliards) sont dix millions de fois plus nombreuses que les étoiles dans nos cieux ! Un seul gramme de sol héberge plus de 1 milliard de cellules bactériennes, issues de plus de 1 million d’espèces différentes ; on y compte aussi pas moins de 1 à 100 milliers d’espèces de champignons… Une eau océanique de surface compte dans chaque millilitre (un cinquième de cuillère à café) de 10 000 à 1 million de bactéries et les algues unicellulaires (moins nombreuses, mais souvent plus grosses) y dépassent couramment le millier. Ainsi, les eaux qui nous entourent sont-elles plutôt un brouet clair de microbes qui représentent 90% de la biomasse marine totale ! Les microbes sont donc partout et dominent en nombre : comment, en une telle promiscuité, la trajectoire évolutive d’une espèce donnée pourrait-elle ne pas croiser de microbes ? On dit parfois qu’en éliminant tous les constituants de la Terre, hormis les microbes, on verrait toujours la silhouette de notre globe de l’espace.
- Un organisme est une illusion macroscopiqueLes grandes structures, plantes et animaux, ont été historiquement vues comme existant à part entière. Mais c’est là un artefact du macroscopique, elles ne sont que l’écume du monde microbien, c’est-à-dire un des effets observables de l’activité microbienne : si nous avions été plus petits, nous aurions perçu une réalité plus microbienne, où tout ce qui est plus gros que les microbes est véhicule de microbes, et finit par vivre et évoluer en pantins à leurs mains. Pantins, quand on imagine ces kyrielles de petites protéines secrétées qui, issues des champignons mycorhiziens, remanient le fonctionnement des cellules et l’expression de leurs gènes. Pantins, quand on imagine ces multiples molécules microbiennes qui modulent le fonctionnement de notre système immunitaire et notre développement. Pantins aussi quand on voit les effets écosystémiques, où la dynamique de la végétation et l’abondance des espèces sont guidées depuis le sol par les microbes ! Des microbes qui se font aussi sculpteurs des plus gros organismes, lorsque la formation d’une nodosité de légumineuse, le développement d’un organe lumineux de calmar, ou encore l’élagage des branches basses des arbres s’opèrent sous les ciseaux des microbes ! Croire à l’organisme en lui-même n’a pas plus de sens que de penser une voiture sans envisager le conducteur ou le passager.
- L’urgence de se réconcilier avec la vieMontrer les microbes au cœur de la santé et des fonctions biologiques, alors que le XIXe siècle les avait découverts dans la maladie et comme agents de décomposition : c’était aussi un but de cet ouvrage. Certes, les maladies courent tristement de par le monde, mais cet état possible de nos organismes ne doit pas cacher que leur état permanent, en particulier celui de bonne santé, repose sur des microbes. On peut trouver étonnant de découvrir que le monde n’est pas seulement ce que nous en voyons, et que cet invisible agit partout, même au tréfonds de nous. N’hésitons pas à le dire : cette prise de conscience est dans la lignée des grandes révolutions scientifiques. Copernic nous a appris que la Terre n’est pas le centre de l’univers, Darwin et l’évolution nous ont appris que nous ne sommes pas le centre du monde vivant, Freud se plaçait lui-même dans cette lignée de révolutions en découvrant que nous ne sommes pas les maîtres de nous-mêmes. Cette longue tendance qui nous prive de plus en plus d’une place privilégiée dans le monde se poursuit avec l’émergence actuelle de notre contexture microbienne ; elle fait de nous (et des organismes que nous voyons) l’écume visible d’un monde microbien structurant et omniprésent. Il est temps de nous réconcilier avec les microbes.
Yves Rasir
ATTENTION : nous ne diffusons pas ce livre via notre médiathèque. Pour l’acquérir, il faut donc le commander chez votre libraire ou l’acheter sur un site de vente en ligne. Je vous rappelle les références complètes : « Jamais seul : ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations », Marc-André Selosse, éditions Actes Sud.