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Yves Rasir

Cela fait longtemps que je ne vous ai plus parlé de Lucky, Lulu pour les intimes, l’adorable chien qui partage mon existence et qui roupille oisivement dans son fauteuil pendant que je lui gagne sa pitance en écrivant ces lignes. Cela fait maintenant plus de 8 ans que ce compagnon est entré à quatre pattes dans ma vie et qu’il l’a complètement chamboulée en devenant mon plus fidèle ami. Si je conserve une bonne forme, c’est sans doute en bonne partie grâce aux longues promenades quotidiennes dont ce trotteur-chasseur est constamment amateur. De nombreuses études ont montré que la compagnie des chiens allongeait la vie de leurs maîtres en les contraignant à bouger et en les préservant de la sédentarité. Sans doute aussi grâce à l’affection dont ils sont prodigues et aux belles émotions que leur présence procure.  Je suis verni à cet égard car Lucky est un Beagle gentil comme tout et pas agressif pour deux sous. C’est d’ailleurs en raison de leur gentillesse que les tortionnaires sadiques déguisés en scientifiques privilégient cette race pour leurs expériences de laboratoire. Charmeurs et charmants, ces chiens peuvent endurer les pires tortures sans broncher ni songer à se défendre.  Leurs défauts ? Ils sont désobéissants, fugueurs et terriblement gourmands. À mes yeux, le premier défaut n’en est pas un et c’est plutôt une forme d’intelligence. Lulu n’obéit que quand ça l’arrange, c’est-à-dire lorsqu’il y a récompense comestible à la clé ou que les ordres lui paraissent utiles et sensés. S’il était né humain, mon pote à poils aurait certainement désobéi aux délirantes mesures sanitaires et c’est pour ça qu’on s’entend vachement bien. Entre amoureux de la liberté, on se comprend.  En revanche, ses deux autres défauts ont tendance à m’énerver car ils peuvent le mettre en danger, et c’est ce que je vais vous raconter.

Errance vétérinaire

Fin octobre, mon beau Beagle est tombé gravement et subitement malade. D’un jour à l’autre, cette boule d’énergie et de vitalité est devenu un vieillard valétudinaire et quasiment grabataire. Il restait prostré, ne quittait plus son panier et semblait souffrir le martyre au moindre déplacement. Consultée en urgence, une vétérinaire a prescrit une prise de sang qui n’a rien révélé d’anormal et elle m’a donc envoyé dans une clinique animalière pour faire des radios. Celles-ci ont montré une légère arthrose débutante aux hanches mais pas de quoi le handicaper et l’empêcher de courir après les chats.  Malgré le jeûne sec qu’il s’est imposé cinq jours durant – cinq jours sans manger ni boire ! – mon compagnon n’allait pas vraiment mieux. Au fil des consultations, nous avons reçu plusieurs diagnostics différents : d’abord  déplacement du bassin ou luxation vertébrale, puis déchirure musculaire, à moins qu’il ne s’agisse d’une hernie discale indétectable par radiographie. Nous avons même eu droit à la tarte à la crème de l’errance médicale, à savoir la maladie de Lyme et les douleurs articulaires qui vont parfois de pair. Ce qui est sûr, c’est que notre chien – mes trois filles et mon ex-épouse s’en occupent aussi – avait le psoas hyper contracté et très enflammé. Comme nous l’avons encore souligné dans un récent numéro de Néosanté (décembre 2023), ce muscle central est capital car il se rétracte lors des chocs émotionnels, c’est une sorte d’interface entre le corps et le cerveau.  Chez Lucky, seules les piqûres d’anti-inflammatoires et les séances d’ostéopathie induisaient un semblant de soulagement. En cas de symptômes persistants, il fallait soupçonner un cancer digestif ou prostatique et envisager une échographie. Nous ne l’avons pas fait parce que cet examen non remboursé coûte la peau des fesses (900 €) et parce que Lucky s’est progressivement rétabli, a plus ou moins retrouvé sa mobilité et paraissait ne plus trop souffrir en montant et descendant les escaliers. Jusqu’à une spectaculaire rechute fin décembre.

Festins de pain clandestins

La veille de la Saint-Sylvestre, les malheurs de Lulu ont effectivement récidivé à haute intensité. Il savait à peine marcher, ne pouvait plus rien avaler et poussait des cris de douleur au moindre frôlement de son arrière-train. Tous les invités du réveillon en ont eu pitié et l’ont abondamment câliné mais ça n’a pas suffi à le remettre sur pattes.  C’est à peine s’il a daigné partir en promenade le 1er janvier. Lui qui tire généralement sur sa laisse, il fallait presque le traîner pour avancer. Idem le lendemain, sauf qu’il a cette fois manifesté la brusque envie de pénétrer dans un jardin.  Par curiosité, je suis allé voir ce qui suscitait sa convoitise et c’est alors que j’ai compris : à l’intention des oiseaux, ce voisin sympathique abandonne sur sa terrasse des monceaux de vieux pain et de baguette rassie ! Il faut en effet savoir que mon chien est très malin. Depuis que je me suis installé dans ce coin pittoresque de l’Ardenne belge, il a pris la mauvaise habitude de me fausser compagnie en fin de balade pour aller chaparder de la nourriture dans le voisinage.  Il connaît le village comme sa poche et il sait où trouver des composts truffés de reliefs de repas, des grilles de barbecue pas nettoyées, des croquettes laissées dehors pour les chats ou divers aliments lancés aux poules. Il revient fréquemment de ses escapades en se léchant les babines et en payant rapidement le prix de sa gloutonnerie. Ça se voit à son ventre ballonné, à ses défécations pénibles et à un embonpoint soudain que je dois contrôler en réduisant les rations domestiques. Se pourrait-il que ses orgies de croûtes et de mie lui aient causé tous ses ennuis ? En faisant des recherches sur internet, j’ai en tout cas découvert que le gluten pouvait sérieusement indisposer les chiens génétiquement prédisposés et leur occasionner des symptômes autres que digestifs. Sur ce site notamment, on explique que l’intolérance au gluten peut engendrer des troubles nerveux, des tremblements et des contractures musculaires, ainsi que des difficultés à se déplacer voire à tenir debout. C’est exactement le tableau clinique que présentait Lulu le goulu ! Et c’est au lendemain de deux de ses fugues qu’il est tombé malade et a récidivé. Difficile de croire au hasard.

Une protéine qui mine

Depuis que je suis conscient de la corrélation, je suis devenu vigilant et j’empêche mon chien de s’évader.  En fin de balade journalière,  avant d’arriver au village, je le rattache et il ne peut donc plus aller se goinfrer dans les jardins voisins. Coïncidence ou non, il a retrouvé toute sa souplesse,  tout son dynamisme et n’a plus semblé souffrir de rien. Au mot « promenade », il dévale les escaliers en trombe et il monte dans le coffre de la voiture avec agilité,  comme dans ses jeunes années. Avec presque deux mois de recul, il est manifestement guéri et ses soucis sont derrière lui. L’épilogue me réjouit mais je me dis aussi que ces épisodes stressants étaient prévisibles et évitables. Évitables d’abord parce que je suis moi-même sensible aux effets délétères du gluten. Je ne suis pas franchement allergique, je ne suis pas atteint de maladie cœliaque, mais je sais que mes intestins ne supportent pas bien les abus de gluten. À part la bière, boisson dont la fermentation longue atténue l’action inflammatoire de la protéine, je tolère assez mal les aliments à base de céréales glutineuses (blé, orge, avoine, seigle) et je les évite la plupart du temps. Comme leur réintroduction massive occasionnelle se traduit immanquablement par des troubles digestifs, des raideurs musculaires et des courbatures, j’aurais pu deviner ce qui affligeait Lucky. Évitables ensuite parce que je suis éditeur et rédacteur en chef de la revue Néosanté. Dans notre revue mensuelle, les trois collaborateurs qui parlent régulièrement de nutrition (les naturopathes Jean-Brice Thivent et Malory Cremer et le spécialiste du régime paléolithique Yves Patte) sont unanimes pour dénoncer les méfaits du gluten. Dans leurs articles, ils en dénoncent souvent les conséquences néfastes pour la muqueuse intestinale que la gliadine fragilise et rend poreuse. Nettement plus court que celui des humains, l’intestin grêle du chien est probablement  encore plus vulnérable aux aliments qui en contiennent. Or  cette partie du corps ne s’enflamme jamais sans provoquer des incendies ailleurs dans l’organisme. Évitables enfin parce que la sensibilité des chiens au gluten n’est pas inconnue de la médecine vétérinaire. Il est navrant que les praticiens consultés n’aient à aucun moment songé à cette étiologie. Visiblement, la diététique animalière classique est tout aussi ringarde que celle des hommes et elle n’a pas encore intégré que les mammifères ne sont pas faits pour digérer des molécules pourtant omniprésentes dans la malbouffe moderne. En tant que carnivore à tendance omnivore, le chien est même plus susceptible de pâtir du gluten que l’être humain, omnivore à tendance carnivore. Sa boulimie l’ayant suffisamment puni et les occasions ne faisant plus le larron,  Lucky est désormais bien parti pour faire de vieux os sans nouvel accroc de santé. C’est en tout cas  tout ce que je souhaite à ce gourmand impénitent qui aura chèrement payé son avidité atavique.

Yves RASIR

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