Dans le cas de la prognatie, l’excès de croissance de la branche horizontale de la mandibule, positionnant les incisives inférieures (et les canines d’ailleurs aussi) en avant du bloc supérieur, est le résultat d’une autre émotion et d’une autre mémoire transgénérationnelle. De manière synthétique, elle impose au porteur de ne pas faire honte à son père.
Mémoire généalogique.
Ici, il faut porter son attention sur les conflits d’héritages professionnels au sein du clan. De manière archaïque, lorsque l’on venait au monde dans un clan de tailleur de pierres, on devenait tailleur de pierre. Le clan nous transmettait son savoir-faire, et nous perpétuions cette « marque » de clan. On retrouve, proche de nous, ce type d’injonction au sein du monde agricole et industriel. Un « père » transmet son exploitation agricole à son aîné, surtout dans le monde de la viticulture, et d’autres pères transmettent leur entreprise à leur aîné, ce qui donnait des entreprises de type Dupont « père et fils »… Il suffit d’imaginer un enfant qui sait qu’il doit vivre ce futur alors qu’au fond de lui, c’est une toute autre voie qu’il aspire en secret à suivre. Mais par obéissance, par peur de confrontation, par manque de volonté peut-être aussi, il refoule son aspiration propre, celle qui tracerait un chemin d’expression à son être authentique, et choisit de suivre la route tracée par ses aïeux. C’est un profond témoignage de respect envers le patriarche. C’est l’affirmation de sa vassalité. C’est espérer ainsi appartenir à jamais à ce clan. Bref, un ensemble de conflits trouvent par cette conduite l’espoir d’une solution. On remarque néanmoins le profond aspect grégaire de ce comportement.
Remarque : le peu de cas rencontrés et donc étudiés ne m’a pas permis pour l’instant de déterminer les éventuelles raisons qui font que seul un enfant parmi plusieurs d’une même fratrie exprime la mémoire. Sans doute y a-t-il des liens en fonction du numéro de fratrie, et sans doute sont-ils en plus influencés par un état émotionnel de clan plus que d’individu, ou d’un individu par rapport à son clan, état émotionnel qui va varier dans le temps. Ce qui est certain, c’est qu’importe bien plus le regard du clan sur l’enfant, dans une notion de fierté liée à la profession, et d’image en conformité avec les identifiants grégaires, ainsi que nous allons le voir.
Information émotionnelle
refoulée agissante.
L’enfant qui exprime la prognatie mandibulaire a, dans son inconscient, une injonction fondamentale : il ne doit pas faire honte à son père ! Nous connaissons tous les interdits de voie professionnelle basée sur la peur qu’un métier n’offre pas de ressources de survie. Telle voie, notamment artistique, ne fait pas vivre son homme ! Il n’est pas ici question de juger ou de contredire. Il est seulement question d’expliquer les effets de nos peurs et les mémoires agissantes. Il n’y a pas si longtemps que ça, dans la relativité du temps humain, être un artiste était condamné par la morale. Les artistes ne pouvaient même pas être enterrés dans les cimetières. Ils étaient damnés, perdus pour la morale et la religion. Cette mémoire se retrouve sur les dents de sagesse, dents qui se développent au sein de la zone touchée par la honte. Le lien n’est donc pas très éloigné, ne serait-ce que d’un point de vue géographique … La profession est donc fondamentale pour certains. Elle est image identitaire. Le « quoi » nous faisons dit aux autres « qui » nous sommes, et plus encore, nous place en termes de valeurs dans une échelle. Beaucoup de nos aïeux avaient ce qu’on peut appeler une névrose de classe. Nous perpétuons par ailleurs allègrement cette confusion, lorsque nous annonçons par exemple : je suis dentiste ! Dentiste est quoi je fais, non qui je suis. Faire honte à son père doit donc être observé dans la profession, ce qui commence très tôt, avec les résultats scolaires. Certains pères se sentent honteux devant un de leurs enfants qui est en « échec » scolaire. La honte est marquée. En fonction des mémoires généalogiques, cette attitude peut conforter la biologie dans l’expression des prognaties, et contrarier un traitement orthodontique engagé.
Effet inconscient obtenu.
Par l’excès de croissance de la branche horizontale, les incisives inférieures sont en avant des incisives supérieures, évitant ainsi d’être soumises à leur guidance. Le guide incisif réalisé par les incisives supérieures représente cette dynamique d’accompagnement de nos parents vers notre futur. Ainsi dégagé de cette emprise, notre inconscient tente d’y trouver liberté pour son futur. Le résultat obtenu est conforme au besoin de liberté de choix pour exprimer son authenticité. Malheureusement, ainsi prognathe, l’enfant entre parfois dans une autre gamme de honte : il n’est pas comme les autres ! Vieilles mémoires de monstres de nos données inconscientes collectives…
En conclusion, bien plus que de juger si l’orthodontie est ou non adéquate pour nos enfants, penchons-nous profondément sur les mémoires qu’à notre insu nous leur avons transmises… Et remarquons combien nos peurs déclenchent ces programmes d’adaptation biologique de la forme pour atteindre une nouvelle fonction. Nous, parents, avons, si nous le décidons, le pouvoir de regarder en face nos propres inconscients agissant sur nos enfants, et celui de les conscientiser afin de leur ôter leur pouvoir agissant, puis de garantir à nos enfants un futur, quand bien même celui-ci passera par deux ans de traitements orthodontiques. Ce n’est pas « quoi » nous faisons qui est à regarder, mais bien plus « comment » nous faisons les choses, c’est-à-dire les pulsions inconscientes agissantes.
Dr Christian Beyer
Site : www.dentsvivantes.net