Revenons à mes « trucs de santé », autrement dit aux méthodes naturelles de santé que j’ai glanées au cours de mes enquêtes journalistiques ou de mes expériences personnelles. Comme je vous l’ai raconté, j’ai été sauvé de mes lumbagos à répétition grâce à un chiropracteur qui m’a notamment révélé les vertus du massage ventral pour décoincer les vertèbres lombaires. Par la suite, j’ai rencontré un autre chiropraticien qui m’a expliqué qu’un bon dos était un dos bien étiré. En effet, la colonne vertébrale n’est pas une tour rigide, un empilement osseux, mais une sorte de serpent dont les 24 articulations sont reliées par des disques intervertébraux. Ces disques portent mal leur nom car ce sont en réalité des coussins composés d’un cartilage plus mou que de l’os et d’un noyau gélatineux et spongieux renfermant 80% d’eau. C’est leur élasticité qui permet d’amortir les chocs et qui assure la mobilité de l’échine. Avec l’âge, les disques perdent en épaisseur et jouent de moins en moins bien leur rôle d’amortisseurs. Sauf si on prend l’habitude de bien s’étirer l’épine dorsale dans le sens de la hauteur. Comment ? En faisant le sapin….
À l’issue de ses consultations, mon chiropracteur donne en effet systématiquement ce conseil : faire le sapin le plus souvent possible, et surtout le matin pour décompresser les disques, favoriser leur gonflement et prévenir ainsi les fameuses hernies discales. L’exercice est super simple : il consiste à joindre les mains au dessus de la tête et à les pointer vers le ciel le plus haut possible. Votre corps est le tronc et vos bras forment le cône du sapin dont vos doigts sont la flèche. Cette métaphore du résineux est en fait empruntée au yoga, du moins dans son enseignement donné aux enfants. Pour les puristes, il s’agit plus exactement de la « posture de la montagne » ou hasta-uttanâsana (du sanskrit « hasta », la main, et « uttan », vers le haut). Lors de sa prescription rituelle, mon chiro ajoute toujours que le sommet du crâne doit lui aussi être hissé un maximum, comme si un fil le reliait au plafond. Il faut donc que le menton soit rentré, que la nuque soit droite et que la tête soit bien alignée avec la pointe du sapin. Tous les ans, quand j’envoie mes enfants faire leur « entretien » chiropratique, le thérapeute leur rappelle invariablement ce geste d’hygiène corporelle élémentaire. Dans ma petite famille, lorsque quelqu’un se plaint d’une dorsalgie, on a pris aussi l’habitude de poser la question coutumière : « as-tu bien fait le sapin ? ». Et la plaignante doit bien souvent admettre qu’elle a négligé d’imiter quotidiennement le conifère. Du sacrum à l’atlas, le serpent vertébral et ses coussinets discaux apprécient énormément de se redresser le long du sapin.
À propos d’arbre, n’oublions pas que les hominidés que nous sommes ont longtemps été des singes arboricoles. Si vous les observez dans un zoo, vous verrez que nos cousins chimpanzés ou bonobos adorent se suspendre à des branches et se laisser pendre dans le vide. La suspension, c’est aussi une très bonne façon d’étirer le dos et de se réhydrater les amortisseurs. Sur un autre conseil du chiro, j’ai installé à l’époque une de ces barres métalliques qu’on vend dans les magasins de sport ou chez les bandagistes. Elles se fixent aisément dans l’encadrement d’une porte ou entre deux murs suffisamment proches. J’avais fixé la mienne dans la cage d’escalier parce que je travaillais dans mon grenier et que je pouvais ainsi me suspendre à chaque passage. Je pense que ma bonne santé dorsale et générale a aussi bénéficié de cette habitude journalière. Comme je ne monte plus souvent à l’étage, ma barre domestique ne sert plus guère, mais j’en ai installé une autre ici à mon bureau, entre les montants de la porte des toilettes. Chaque fois que j’y vais et que j’y pense, je me suspends quelques secondes et je fais parfois l’effort d’une ou deux tractions, à la manière des gymnastes aux barres asymétriques. À mon avis, c’est une façon encore plus efficace de « faire le sapin » et de s’allonger la colonne.
La suspension, c’est également un exercice de base du crossfit, cette méthode de fitness qui cherche à reproduire l’activité physique ancestrale et qui privilégie les mouvements naturels et fonctionnels. Tous les adeptes de cette approche, notamment notre chroniqueur « Paléonutrition » dans Néosanté, sont des gaillard(e)s bien bâti(e)s avec un dos bien musclé et peu sujet aux somatisations. En mode singe ou en mode sapin, l’important est de dérouler le chapelet de vertèbres et de permettre aux éponges cartilagineuses qui les séparent de se regonfler. Comme les oreillers tassés pendant la nuit nécessitent d’être agités pour retrouver leur forme, nos disques ont besoin d’étirements verticaux pour conserver la forme. Essayez, vous m’en direz des nouvelles !
Yves Rasir