Lorsqu’il s’agit de perdre de la masse grasse, nous pensons souvent qu’il faut « manger moins gras ». Or, s’il est vrai que certaines mauvaises graisses sont à éviter, les graisses sont essentielles dans notre alimentation.
Notre besoin en graisse est même peut-être ce qui nous distingue le plus de nos cousins primates. Les recherches en biologie évolutionniste ont montré que de nombreux traits nous distinguant de ces autres primates (gorilles, chimpanzés, etc.) sont liés à notre alimentation. Si l’on s’intéresse à la taille de nos cerveaux, on remarque que nous avons un haut degré d’ « encéphalisation », c’est-à-dire que la taille de notre cerveau est importante par rapport au reste du corps. Les primates ont en moyenne un cerveau 3 fois plus volumineux que les autres mammifères (proportionnellement au reste du corps). Mais le cerveau humain est encore 2,5 à 3 fois plus volumineux que celui des autres primates. Le métabolisme cérébral représente, chez nous, 20 à 25 % de notre métabolisme de base, alors qu’il ne représente que 8 à 10 % du métabolisme de base des autres primates et 3 à 5 % de celui des autres mammifères.
La demande en énergie de notre cerveau et des tissus nerveux est jusqu’à 16 fois plus élevée que celle de nos muscles ! En comparaison avec les autres primates et mammifères, nous allouons donc beaucoup plus d’énergie à notre cerveau.
Notre cerveau veut du gras
Pour répondre à une telle demande, nous avons besoin d’une alimentation plus dense en énergie. Et c’est là que le gras nous est particulièrement utile. On estime que les sociétés de chasseurs-cueilleurs qui perdurent encore actuellement tirent entre 30 et 60 % de leur énergie dans les graisses. Les chimpanzés sont à 6 % ; les gorilles à moins de 3 %. C’est pourquoi leur alimentation se compose à 80 % de feuilles et d’écorces. On voit donc qu’il y a un lien très clair entre trois éléments : 1) la taille du cerveau par rapport au reste du corps , 2) la consommation de gras et d’aliments riches en énergie et 3) la consommation de produits d’origine animale. L’être humain est à la fois celui qui a le plus gros cerveau par rapport au reste de son corps et celui qui a l’alimentation la plus riche. Il y a 4 millions d’années, Homo Afarensis avait un cerveau d’un volume de 438 cm3. Celui d’Homo Habilis (2.000.000-1.700.000 ans) était de 612 cm3, Homo Erectus, plus ou moins 900 cm3. Homo Sapiens a, lui, un cerveau d’un volume de 1350 cm3. C’est plus de 3 fois le volume de celui de son ancêtre Homo Afarensis !
Cela signifie qu’en terme d’évolution, l’accroissement de notre cerveau a dû aller de pair avec une évolution de notre alimentation, vers quelque chose de plus riche, incluant viande et fruits plus caloriques. Notre physiologie témoigne d’ailleurs de cette évolution : en comparaison avec les chimpanzés et les gorilles, les êtres humains ont un volume intestinal plus réduit, un colon plus petit, mais un intestin grêle plus grand. A bien des égards, le système intestinal humain est plus proche de celui des carnivores et reflète une adaptation vers de la nourriture facilement digérable, riche en énergie et en gras.
Changement climatique
Ce changement au niveau alimentaire est probablement dû à une modification de notre environnement de vie. Il y a entre 2.000.000 et 1.800.000 ans, le climat s’est fait plus sec, provoquant un déclin des parties boisées. Dans ce type d’environnement, les herbivores étaient 3 fois plus nombreux que dans la forêt dense que nous avions connue auparavant, alors que les plantes comestibles par l’Homme se faisaient, au contraire, moins nombreuses. Notre alimentation est alors devenue plus riche en produits d’origine animale et moins riche en végétaux.
C’est surtout Homo Erectus qui est l’acteur de cette évolution, avec ses techniques de chasse et de cueillette plus élaborées. C’est aussi le premier – selon les preuves qu’on a – à ramener des carcasses de bêtes tuées dans un campement et de les partager avec les autres. Si Homo Erectus tue des bêtes et les ramène au campement pour nourrir tout le monde, c’est aussi parce que d’un point de vue génétique, son corps est maintenant capable de tirer le meilleur parti de la viande et de ses graisses. C’est au niveau des « lipoprotéines » (des complexes de protéines et lipides qui transportent les lipides dans l’organisme, comme les triglycérides ou le cholestérol) que beaucoup de choses se jouent. Une modification, au fil de l’évolution, au niveau de l’ « apolipoprotéine E », une des protéines constitutives des lipoprotéines, a permis à nos ancêtres d’exploiter davantage l’énergie d’aliments gras d’origine animale. Cette apolipoprotéine joue effectivement un rôle critique dans la régulation de l’apport en cholestérol dans le corps.
Bébé surtout
Les acides gras essentiels sont nécessaires à l’évolution de notre cerveau, en particulier la DHA (acide doxosahexaenoïque) et l’AA (acide arachidonique). Loren Cordain a montré que les plantes sauvages présentes en Afrique de l’Est, d’où nous venons, sont pauvres en DHA et AA, alors que les ruminants s’y trouvant en sont plutôt riches (selon la partie du corps, entre 152 et 533 mg de DHA, et entre 10 et 861 mg de AA pour 100 gr., alors que les plantes n’en contiennent pratiquement pas : moins d’1 mg.) Ce qui est intéressant, c’est que notre développement mime notre évolution : nous avons le plus besoin d’acides gras dans l’enfance, lorsque notre rapport cerveau/poids de corps est le plus élevé et que le développement de notre cerveau est le plus rapide. Alors que notre cerveau représente 20 à 25 % de notre métabolisme de base, cela monte jusqu’à 87 % chez le nouveau-né, 60 % pour les enfants de moins de 10 kg. Du coup, le nouveau-né humain a le taux de masse grasse le plus élevé de tous les mammifères, avec 15 à 16 %. Taux qui monte jusqu’à 25 % durant la première année.
Tout comme un apport plus grand en gras a coïncidé avec un développement de notre cerveau (Homo Erectus), le moment où on a le plus de masse grasse coïncide avec le moment où notre cerveau en a le plus besoin…
Yves Patte