Dans une de ses dernières lettres, mon confrère Jean-Marc Dupuis compare les médicaments antimicrobiens à des herbicides et il écrit qu’ « un antibiotique, c’est le Roundup des intestins. » Je souscris complètement à cette comparaison horticole que j’ai moi-même déjà utilisée. De leur côté, les célèbres agronomes Lydia et Claude Bourguignon usent de la métaphore inverse en décrivant la couche d’humus comme « l’intestin de la terre ». Pour ces grands défenseurs de l’agriculture bio, éliminer la vie du sol équivaut à détruire la précieuse flore intestinale. Le rapprochement entre les deux écosystèmes est d’autant plus pertinent que, comme le souligne volontiers l’agro-écologiste Pierre Rabhi, le mot « humus » et le mot « humain » partagent une même racine étymologique. Son microbiote est à l’espèce humaine ce que la microfaune est à la terre. L’analogie est tellement évidente qu’elle a même sauté aux yeux de la multinationale Monsanto ! Selon une source américaine (1), le géant agrochimique a en effet obtenu plusieurs patentes pour pouvoir utiliser le glyphosate en tant que médicament. Sa récente acquisition par Bayer est probablement en partie liée à ce projet de se diversifier dans la médecine humaine et d’y proposer ses solutions biocides. Si ça tombe, le Roundup sera bientôt chassé des jardineries mais va faire son entrée en pharmacie sous un autre nom, mélangé à d’autres molécules !
Il n’est dès lors pas farfelu de méditer sur la santé de l’Homme en observant ce qui se passe lorsque des jardiniers emploient du glyphosate. Par chance ou par malchance, j’ai justement eu l’occasion de m’en faire une idée en séjournant souvent dans la maison que je possède à la campagne. Il y a cinq ans, le jardin de cette ancienne ferme a été complètement retourné afin d’y implanter une citerne d’eau de pluie et une mini-station d’épuration. Lorsqu’il a fallu recréer une pelouse, les jardiniers m’ont vivement conseillé un traitement herbicide sous peine d’y voir proliférer des tas de « mauvaises herbes ». J’ai bien sûr refusé en leur expliquant que je préférais un gazon moins anglais mais plus respectueux du vivant. À peu près au même moment, les autorités du village ont rénové la maison voisine pour en faire une crèche et elles ont également retourné le jardin avant d’y semer de l’herbe. La différence, c’est que les ouvriers communaux ont recouru à l’arme chimique pour faire place nette. On allait donc bien voir la différence entre les deux surfaces séparées seulement par une clôture en bois !
La première année, il n’y avait pas photo. De mon coté, la nature a rapidement repris ses droits et toutes sortes de plantes et de fleurs ont fait concurrence à mes semences herbeuses. Dans ce gazon hétéroclite, j’ai notamment identifié pas mal de pissenlit, de trèfle, de chardon, et quelques plaques de mousse aux endroits plus humides. De l’autre côté de la clôture, le tableau était très différent : un vrai green de golf bien vert et sans le moindre intrus. Mais dès la deuxième saison, ce beau tapis a commencé à perdre de sa superbe en jaunissant et en s’effilochant, tandis que ma robuste parcelle bio restait toujours aussi drue et verte malgré les périodes de canicule. D’année en année, cette différence s’est accentuée et le jardin voisin fait désormais pitié à voir : l’herbe y est de plus en plus pâle, malingre et clairsemée. Et toujours aussi seule à occuper un terrain raviné par les pluies alors que le mien, foisonnant de vie, se gorge d’eau comme une éponge avant qu’elle s’évapore ou qu’elle pénètre le sous-sol schisteux. Devant ce spectacle, je me suis fait la réflexion que les effets secondaires des antibiotiques étaient certainement sous-estimés et que leur action toxique était sans doute plus durable qu’on le dit. Certes, les diarrhées s’arrêtent à la fin du traitement et la flore intestinale se reconstitue quantitativement. Mais on sait maintenant que la composition du microbiote s’en trouve modifiée et que sa diversité en est profondément affectée. Comme celle-ci est le gage d’une bonne immunité, on peut en déduire que la santé globale des patients s’étiole sur le long terme. Tout comme le Roundup semble déséquilibrer le sol par son action sélective, il se pourrait bien que les médicaments antibactériens aient des conséquences funestes longtemps après la cure et dans l’ensemble du corps humain.
Mes soupçons m’apparaissent d’autant plus fondés que cet automne, un événement intéressant s’est produit dans mon jardin : des taupes y ont élu domicile. Au début, j’ai cru que c’était encore un blaireau qui venait se régaler dans ma pelouse en creusant une galerie sous la barrière. Les blaireaux adorent la mousse, c’est assez pratique, mais ils abîment quand même beaucoup avec leur groin. Le week-end suivant, je me suis cependant fait une raison : quelques taupes très costaudes avaient manifestement pris possession du sous-sol et s’en donnaient à cœur joie pendant la semaine. Elles doivent vraiment être grosses car elles déplacent des monticules de terre énormes. Entre mon jardin aujourd’hui et la plaine de Verdun en 1916 après la bataille, le paysage doit être plus ou moins identique. Pourtant, j’ai ri et même jubilé en découvrant le désastre, car j’ai constaté qu’il s’arrêtait pile-poil à la clôture. Chez le voisin « chimique », pas la moindre taupinière à l’horizon ! De toute évidence, les mammifères fouisseurs ont un instinct qui les guide en sous-terrain hospitalier et leur fait éviter les biotopes appauvris. Sinon, ils n’auraient pas stoppé net à la « frontière ».
Cela m’a fait beaucoup réfléchir, car je vous rappelle que l’épandage dans la parcelle mitoyenne a eu lieu il y a un lustre. Cinq ans après la pulvérisation d’herbicide, la composition des sols est encore si dissemblable que les animaux se réfugient dans le mien et boudent totalement le voisin. Ces petites bêtes sont très myopes, mais elles voient visiblement très clair quand il s’agit de distinguer un bon et un mauvais terrain. Chez moi, la diversité est reine et la nourriture abonde tandis qu’une terre « roundupée » demeure très longtemps hostile et stérile. Il en va très probablement de même dans les intestins humains : un seul bombardement chimique peut y faire des dégâts qui ne se remarqueront que des années plus tard et ne seront sans doute pas reliés à l’antibiothérapie. Il n’est pas surprenant que des recherches récentes indiquent une plus grande incidence de maladies chez les adultes ayant reçu dans leur enfance beaucoup d’antibiotiques.
Entre cet arsenal allopathique et les méthodes culturales conventionnelles, la comparaison est d’autant plus appropriée que les deuxièmes ont un impact direct sur l’écologie intestinale. En 2014, des chercheurs allemands ont découvert que le glyphosate affectait négativement la flore bactérienne des vaches exposées. Et tout dernièrement, une étude néozélandaise (2) a révélé que cet herbicide participait au phénomène de biorésistance : quand elles sont mises en contact avec la substance anti-herbes, les bactéries apprennent aussi à résister aux antibiotiques. Moralité : ce n’est pas seulement l’élevage industriel qui fait muter les microbes, mais aussi le désherbage antibiologique. Bref, je n’en veux pas à mes amies les taupes et je les remercie de m’avoir ouvert les yeux sur les méfaits insoupçonnés de la lutte biocidaire. Ceci dit, je serais quand même content qu’elles aillent prêcher la bonne galerie ailleurs que dans mon jardin. Si vous avez un truc 100% naturel pour les faire déguerpir, n’hésitez pas à m’en faire part.
Yves Rasir
(1) et (2) : Natural News, 22 mars 2017