Santiano, Stewball, Céline, Le petit âne gris, Les portes du pénitencier….Je dois avoir chanté des milliards de fois chacune de ces chansons lors de veillées scoutes, autour du feu de camp. Et dans les années 60-70, j’ai usé plusieurs saphirs pour écouter en boucle, sur mon « tourne-disques » de l’époque, tous les tubes de mon idole gravés en 45 ou 33 tours. Je m’identifiais tellement à lui que j’ai même, qu’il me pardonne, massacré ses morceaux en gratouillant de la guitare. Incroyable Hugues Aufray ! À 87 balais, le chanteur folk de mon enfance fait encore partie de la tournée Âge tendre, une troupe d’anciennes gloires qui multiplie les concerts aux quatre coins de France et de Navarre. Mais comment fait-il ? Comment ce vieillard s’y prend-il pour rester aussi vert et conserver une allure de fringant jeune homme, n’étaient sa crinière blanche et les rides assumées ? Ce n’est pas la peine d’aller lui poser la question, car la star y a déjà répondu il y a 10 ans, dans un livre intitulé « La jeunesse n’a pas d’âge ». Publié chez Michel Lafon, cet ouvrage avait précisément pour objet de partager les secrets de sa forme et de révéler ses remèdes de jouvence. Je me le suis acheté d’occasion l’été dernier et je l’ai lu la semaine dernière en vacances.
Sur le plan littéraire, il faut bien dire que ce bouquin est un peu décevant. On sent bien que le poète-musicien, tout bon cavalier qu’il soit, n’est pas seul en selle et ne tient pas les rênes. C’est « avec la collaboration » d’une plume professionnelle que ce livre a été écrit, et ça lui enlève quelque chose. Ce que le texte gagne en propreté, il le perd en spontanéité. L’écriture manque furieusement de naturel. Mais ce n’est pas ça qui est important. Sur le fond, l’œuvre répond aux attentes car on y apprend vraiment comment Hugues Aufray s‘est bâti cette belle santé qui semble défier le temps. Dès l’avant-propos, le chanteur vend la mèche et dévoile ce qui est, à mon avis, sa principale recette de longévité : « J’ai toujours été très actif et je ne me souviens pas m’être jamais ennuyé, tout simplement parce qu’il est dans ma nature de vivre mes passions à fond. Je me dis souvent que j’aurais pu faire n’importe quoi, vu toutes les envies que j’ai, dont j’ai réalisé certaines : la course automobile, le cheval, le ski, la peinture, la sculpture, l’agriculture, le chant, la guitare… sans compter toutes les formes de complicité, ainsi que le plaisir sans cesse renouvelé d’être entouré de mes proches ». Tout est déjà dit, il me semble, dans ce paragraphe. Il attribue sa grande vitalité à sa passion de vivre et à une existence bien remplie, tant sur le plan professionnel que privé. Il le dit textuellement : il est et a toujours été guidé par ses nombreuses envies. Or, comme le souligne volontiers un de mes amis médecins, il n’y rien de tel que les « en-vies » pour se protéger des « tu-meurs ». Être animé de désirs est à coup sûr le meilleur moyen de bien vieillir et de repousser l’heure de mourir.
À condition, bien sûr, que la fureur de vivre reste compatible avec une existence équilibrée. Hugue Aufray confie qu’il a longtemps fumé, et même beaucoup, mais qu’il n’a jamais été gros buveur et gros sorteur. Les virées en boîtes de nuit, très peu pour lui ! Ses trucs de santé ? Hugues Aufray prévient d’emblée : « Je ne possède pas de recette miracle, seulement quelques fruits secrets de mon attachement aux traditions. Fruits également de mes rencontres, de mes découvertes et de mes expérimentations. Le tout étant toujours frappé au coin du bon sens ». Dans le premier chapitre, le Bod Dylan français dévoile cependant une chose très importante : on peut construire du solide sur des fondations qui le sont beaucoup moins. Bébé, il n‘a pas pu être allaité par sa maman, et il ne supportait ni le lait de vache ni le lait de chèvre. Il dépérissait à vue d’œil quand le médecin de famille eut l’idée de lui donner du babeurre, autrement dit du petit-lait. C’est ce qui l’a sauvé de la dénutrition, de même que la vitamine D a enrayé un début de rachitisme. Â l’âge de 7 ans, on lui a diagnostiqué une hyperthyroïdie qui a été soignée par des piqûres d’iode. Un peu plus tard, on découvre également que cet enfant fragile est asthmatique, gaucher et dyslexique. « Les tracas de santé m’ont appris un chose, confie-il septante ans plus tard : il ne faut pas se comparer aux autres, ni se tourner vers son passé, ni penser à l’injustice, sous peine d’aller un peu plus vers les ennuis. Ce qu’il faut faire, (…), c’est prendre la maladie comme un défi ». Non sans sagesse, le chanteur diminue toutefois ses propres mérites dans l’édification de son corps robuste : « Je reste persuadé qu’à capital santé égal, un enfant issu d’une famille respectueuse de l’individu, à même de lui donner tout ce dont il a besoin pour grandir, aimer et se sentir bien dans la vie, aura beaucoup plus de chances d’avoir une santé florissante qu’un gamin maltraité, désorienté, triste ou stressé ». Autrement dit, selon lui, il récolte aujourd’hui les fruits de son enfance heureuse.
Le chapitre qui suit est beaucoup moins intéressant car il aborde l’alimentation. Relevant de la diététique la plus classique, les conseils sont dépassés et d’une consternante banalité. J’ai cependant retenu deux confidences dissonantes, et non des moindres. La première, c’est qu’Hugues Aufray est sobre comme un chameau. Malgré ses efforts, il boit très peu d’eau et ne parvient pas à respecter la consigne des deux litres par jour. Pour compenser, il s’efforce de consommer une boisson drainante dont il ne révèle malheureusement pas la composition. La deuxième, c’est qu’il a guéri son asthme infantile en arrêtant complètement le lait. Dès le jour où il a stoppé les produits laitiers, ses crises ont disparu. En revanche, l’artiste se plie quotidiennement à la consommation d’un jus de citron dans un verre d’eau tiède, avalé avant le petit-déjeuner. S’étant informé, il en loue les vertus antioxydantes et l’action dépurative pour le foie. Pour le reste, il suggère de « ne consommer que ce qui est nécessaire à l’équilibre du corps, afin de rester sain et de vivre plus longtemps. » Et si on tombe malade ? Voici son judicieux conseil : « avant d’aller chez le médecin, réfléchissez à ce que vous avez vécu récemment et repassez-vous le film de vos émotions, vos repas, vos déplacements, vos contacts avec les autres, un changement dans votre vie… Et suivez la piste qui vous paraît la plus plausible ». Je ne vais pas vous résumer le reste du livre, mais épingler quelques astuces de santé originales et méconnues.
Dans le chapitre sur la respiration, Hugues Aufray insiste sur l’importance de débloquer le diaphragme et de l’ouvrir au maximum. Pour ce faire, il a notamment recours à la méthode Salmanoff, laquelle consiste à chauffer le foie par l’application d’une compresse ou d’une bouillotte. L’idée est d’activer la circulation des vaisseaux capillaires hépatiques et de favoriser ainsi le relâchement du muscle voisin. Si vous ne connaissez pas cette technique, voici un lien qui vous permettra de la découvrir et de vous l’approprier. Mais pour se décontracter les viscères et relaxer les tissus musculaires qui les entourent, le chanteur pratique aussi régulièrement un exercice qu’il qualifie d’extraordinaire et qu’il appelle le « barattage ». Selon lui, cet exercice procure un état de détente et de bien-être proche du Nirvana, rien que ça ! En voici la description précise :
- Au préalable, en position debout : vider ses poumons en expirant complètement par la bouche.
- Fléchir les jambes légèrement, appuyer les mains sur les genoux et pencher le buste à l’horizontale. Dans cette position, toujours les poumons vides, relâcher complètement le ventre comme s’il pendait dans le vide.
- Toujours sans respirer, lever l’estomac, comme si on voulait le faire passer par dessus la gorge, ce qui donne un mouvement de contraction/relâchement assez rapide que l’on peut répéter trois ou quatre fois. Pour mieux vous représenter la position, imaginez un loup ou un chien qui vient de courir : observez bien son ventre, qui sort et rentre au rythme de sa respiration. Le barattage doit ressembler à cela, vu de l’extérieur.
- -Se remettre en position verticale et inhaler une bonne bouffée d’oxygène par le nez. Puis expirer à nouveau en vidant les poumons par la bouche, et recommencer.
L’ami Aufray confie qu’une des amies a soigné sa dépression de cette manière, tant cet exercice lui procurait du bonheur !
Dans le chapitre suivant, l’artiste raconte un tournant très important dans sa vie : en 1955, en l’espace de quelques mois, son frère se suicide et son meilleur copain se tue accidentellement. Après ce double choc émotionnel, il reste littéralement sans voix, ne parvient plus à chanter et est viré du cabaret qui l’employait. Heureusement, il fait la connaissance d’un musicien américain qui l’envoie chez une enseignante d’art vocal, une certaine Mme Sandra. Il va suivre son enseignement durant deux ans, en travaillant sa respiration, son maintien, la fréquence, le ton et le volume d’une voix qu’il retrouve peu à peu. Il découvre que l’appareil phonatoire mobilise pas moins de 300 muscles et que leur entraînement le remet complètement d’aplomb sur tous les plans. Moral retrouvé et santé restaurée, il gagne deux ans plus tard le radio-crochet qui va lancer sa carrière et le propulser en tête des hit-parades. C’est en retrouvant sa voix, dit-il, qu’il a véritablement trouvé sa voie. Plus tard, il expérimentera également les bienfaits de la musicothérapie et la psychophonie, une méthode d’exercice vocal destinée à rétablir l’harmonie globale chez l’être humain. Sa fondatrice, Marie-Louise Aucher, s’était aperçue des correspondances vibratoires existant entre les sons et le corps humain. Elle les a codifiées de manière à créer un lien entre les différents plans de l’existence (physique, émotionnel, énergétique, mental et même spirituel) et à les harmoniser. Pour faire connaissance avec cette approche, cliquez ici .
Curieux et ouvert d’esprit, Hugues Aufray n’hésite pas à expérimenter des thérapies alternatives, et même des techniques quelque peu ésotériques. Saviez-vous, par exemple, qu’il porte en permanence un bracelet de cuivre ? C’est un vieux médecin, appelé à son chevet pour une sciatique très douloureuse, qui lui a un jour refilé le truc. Depuis lors, effet placebo ou pas, il n’a plus jamais eu mal au dos ! Il se soigne également avec les bains hyperthermiques d’Alexandre Salmanoff (voir supra), la visualisation créatrice, la pensée positive et l’autosuggestion. Contrairement à Emile Coué, il ne répète pas 20 fois de suite 3 fois par jour que « tout les jours et à tous points de vue, je vais de mieux en mieux ». Pour sa part, tous les matins, il se contente de respirer l’air frais et de dire « Merci mon Dieu », avant d’aller se poster devant le miroir et de se lancer un grand sourire. Dans la deuxième partie de l’ouvrage, celle consacrée à la santé psychique, l’auteur de « La jeunesse n’a pas d’âge » confie également qu’il est un adepte de la « sweat lodge » (tente de sudation) et de la « roue de médecine », deux rituels d’origine amérindienne. Par une heureuse coïncidence, cette deuxième technique chamanique fera l’objet d’un article de Carine Anselme dans le Néosanté du mois d’avril.
Pour expliquer son éclatante santé, Hugues Aufray confie cependant que son principal secret est le travail de deuil et la gestion des émotions négatives qui ont jalonné sa vie. Pour lui, « faire le deuil » consiste à se tourner vers le Ciel, c’est-à-dire vers les forces spirituelles, vers ce qui est plus grand et plus éternel que soi. Il n’est pas croyant au sens classique du terme, mais il pense que l’homme a naturellement besoin d’élever son esprit vers la nature et d’entrer en communion avec elle. Cet état d’esprit, écrit-il « permet de nous tourner vers nous-mêmes, de comprendre nos blessures intérieures et peut-être même celles de personnes qui nous ont heurté à un moment ou un autre ». S’il avait une devise, celle du vieux chanteur serait certainement « donner et recevoir » : « En fin de compte, je crois qu’il n’y a pas de plus puissant élixir de bien-être et de longévité que le don. Quoi qu’il arrive, celui qui donne n’est jamais perdant. Il transporte autour de lui une atmosphère bienfaisante pour les autres, et parce qu’il transmet, il reçoit en échange ». Mais comment vieillir aussi bien que lui ? Le but n’est pas de paraître jeune ou de ne pas vieillir, répond-il, mais plutôt de profiter du temps qui passe pour atteindre une certaine harmonie, avec soi et avec les autres. Citant Pablo Picasso (« La vieillesse ne se guérit pas, elle se prépare » »), Hugues Aufray exprime la sensation de récolter aujourd’hui les fruits de ce qu’il a semé : « la vieillesse n’est que le résultat de l’existence qu’on a menée ».
Pour conclure son livre, l’idole de ma jeunesse rappelle ce qu’il a martelé dans son introduction, à savoir que la plus puissante des motivations pour « rester jeune », c’est de créer. Quelle que soit le type de création, « la seule véritable raison de vivre est, pour l’être humain, la possibilité d’être créatif ». Une dernière recette de jouvence ? Laissons-lui la plume et apprécions sa métaphore culinaire : « Pour bien vieillir, prendre une grosse cuillérée de gentillesse et de bon cœur. Une pincée de prévoyance. Une larme de soins corporels. Mettre dans un saladier rempli d’envies, de voyages intérieurs ou extérieurs, et de quelques pousses de nature. Faire cuire avec des tonnes de passion et d’entraide. Servir chaud et souriant, avec un air de guitare ». Perso, je ne suis pas convaincu par le conseil de cuisson, mais cette salade me semble très appétissante. Il n’y a pas d’âge pour commencer à la composer et pour la déguster.
Yves Rasir
Merci pour ces explications très bien écrites !